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pour se décider, aux autres répétitions, à écouter ce qui restait de la symphonie en ré. N’oublions pas que l’opinion de M. Kreutzer sur Beethoven était celle des quatre-vingt dix-neuf centièmes des musiciens de Paris à cette époque, et que, sans les efforts réitérés de l’imperceptible fraction qui professait l’opinion contraire, le plus grand compositeur des temps modernes nous serait peut-être encore aujourd’hui à peine connu. Le fait de l’exécution des fragments de Beethoven à l’Opéra était donc d’une grande importance ; nous en pouvons juger, puisque sans lui, très-probablement, la société du Conservatoire n’eût pas été constituée. C’est à ce petit nombre d’hommes intelligents et au public qu’il faut faire honneur de cette belle institution. Le public, en effet, le public véritable, celui qui n’appartient à aucune coterie, ne juge que par sentiment et non point d’après les idées étroites, les théories ridicules qu’il s’est faites sur l’art ; ce public-là, qui se trompe souvent malgré lui, puisqu’il lui arrive maintes fois de revenir sur ses propres décisions, fut frappé de prime abord par quelques-unes des éminentes qualités de Beethoven. Il ne demanda point si telle modulation était relative de telle autre, si certaines harmonies étaient admises par les magisters, ni s’il était permis d’employer certains rhythmes qu’on ne connaissait pas encore ; il s’aperçut seulement que ces rhythmes, ces harmonies et ces modulations, ornés d’une mélodie noble et passionnée, et revêtus d’une instrumentation puissante, l’impressionnaient fortement et d’une façon toute nouvelle. En fallait-il davantage pour exciter ses applaudissements ? Notre public français n’éprouve qu’à de rares intervalles la vive et brûlante émotion que peut produire l’art musical ; mais quand il lui arrive d’en être véritablement agité, rien n’égale sa reconnaissance pour l’artiste, quel qu’il soit, qui la lui a donnée. Dès sa première apparition, le célèbre allegretto en la mineur de la septième symphonie qu’on avait intercalé dans la deuxième pour faire passer le reste, fut donc apprécié à sa valeur par l’auditoire