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(sinon les brutalités de l’orchestre) la sonorité excessive des instruments, en pareil cas, excite encore les chanteurs, sans qu’ils s’en doutent, à redoubler d’efforts pour se faire entendre et à produire des hurlements qui n’ont plus rien d’humain. Certains maîtres ont eu au moins l’adresse de ne pas employer les grands accords forts du plein orchestre, en même temps que les sons importants des voix, laissant, au moyen d’une espèce de dialogue, le chant à découvert ; mais beaucoup d’autres l’écrasent littéralement sous un monceau d’instruments de cuivre et d’instruments à percussion. Quelques-uns de ceux-là pourtant passent pour des modèles dans l’art d’accompagner les voix… Quel accompagnement !…

Ces défauts grossiers, palpables, évidents, aggravés par l’élévation du diapason, ne pouvaient manquer d’amener le triste résultat qui frappe aujourd’hui dans nos théâtres les auditeurs les moins attentifs.

Mais l’exhaussement du la en a encore produit un autre assez fâcheux : les musiciens chargés des parties de cor, de trompette et de cornet ne peuvent plus maintenant aborder sans danger, la plupart même ne peuvent plus du tout attaquer certaines notes d’un usage général autrefois. Tels sont le sol haut de la trompette en , le mi de la trompette en fa (ces deux notes produisent à l’oreille le son la), le sol haut du cor en sol, l’ut haut de ce même cor en sol (note employée par Handel et par Glück, et qui est devenue impraticable), et l’ut haut du cornet en la. À chaque instant des sons éraillés, brisés, qu’on nomme vulgairement couacs, viennent déparer un ensemble instrumental composé quelquefois des plus excellents artistes. Et l’on dit : « Les joueurs de trompette et de cor n’ont donc plus de lèvres ? D’où cela vient-il ? La nature humaine pourtant n’a pas changé. » Non la nature humaine n’a pas changé, c’est le diapason. Et beaucoup de compositeurs modernes semblent ignorer ce changement.