Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’ensemble du rôle démontre qu’il fut composé pour une de ces cantatrices exceptionnelles, comme on en trouve dans tous les temps, qu’on appelle chanteuses légères, et dont la voix est d’une étendue extraordinaire dans le haut. Telles sont de nos jours mesdames Cabel, Carvalho, Lagrange, Zerr et quelques autres. Encore l’ut aigu de Daphné, je le répète, correspondait-il à notre si bémol, note vulgaire aujourd’hui. Madame Cabel et mademoiselle Zerr donnent le contre-fa haut, madame Carvalho aborde sans peur le contre-mi, et madame Lagrange ne recule pas devant le contre-sol de la flûte.

Les anciens compositeurs (écrivant pour les théâtres de Paris) s’obstinèrent seulement, je ne sais pourquoi, à pousser toujours dans le haut les voix graves. Dans leurs rôles de basse, on ne rencontre presque que des notes de baryton. Ils n’osèrent jamais faire descendre les basses au-dessous du si bémol ; encore n’écrivirent-ils que bien rarement cette note. Il passait pour avéré à l’Opéra, encore en 1827, que les sons plus graves n’avaient pas de timbre et ne pouvaient être entendus dans un grand théâtre. Les voix de basses furent ainsi dénaturées, et les rôles de Thoas, d’Oreste, de Calchas, d’Agamemnon, de Sylvain, que j’ai entendu chanter par Dérivis père, semblent avoir été écrits par Glück et par Grétry pour des barytons. Ceux-là donc, bien qu’ils fussent alors néanmoins chantables par de vraies basses, ne le sont plus aujourd’hui.

Mais jamais Glück ni ses émules n’eussent osé demander à leurs ténors ou à leurs soprani dramatiques les sons hauts que je citais tout à l’heure et dont on abuse de nos jours.

Ces excès des plus savants maîtres de l’école moderne ont eu, certes, de très-fâcheux résultats. Combien de ténors se sont brisé la voix sur les ut et les si naturels de poitrine ! combien de soprani ont poussé des cris d’horreur et de détresse, au lieu de chanter, dans une foule de passages du répertoire moderne qu’il serait trop long de citer ici ! Ajoutons que la violence des situations dramatiques motivant souvent l’énergie