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cause de la nature toute spéciale des fonctions dans lesquelles le service religieux les a renfermées, n’ayant jamais été mises en relations avec les instruments à vent des théâtres, ont conservé le diapason de l’époque où elles furent construites ; or ce diapason est en général d’un ton plus bas que celui d’aujourd’hui.

De là l’usage d’appeler ces orgues en si bémol, parce que leur ut en effet, étant d’un ton plus bas que le nôtre, se trouve à l’unisson de notre si bémol. Ces orgues ont au moins un siècle d’existence. Il faudrait donc conclure de ces faits divers, mais concordants entre eux, que le diapason ayant monté d’un ton en cent ans ou d’un demi-ton en un demi-siècle, si sa marche ascendante continuait, il parcourrait en six cents ans les douze demi-tons de la gamme, et serait nécessairement en l’an 2458 haussé d’une octave.

L’absurdité d’un pareil résultat suffit à démontrer l’importance de la mesure prise par M. le ministre d’État, et il est fort regrettable que l’un de ses prédécesseurs n’ait pas songé à la prendre longtemps avant lui.

Mais la musique a rarement jusqu’ici obtenu une protection éclairée, officielle, bien que de tous les arts elle soit celui qui on a le plus besoin. Presque toujours, presque partout, son sort a été remis aux mains d’agents qui n’avaient pas le sentiment de son pouvoir, de sa grandeur, de sa noblesse, et qui ne possédaient aucune connaissance de sa nature et de ses moyens d’action. Presque toujours et presque partout jusqu’à présent elle a été traitée comme une fille bohème qu’on faisait chanter et danser sur les places publiques en compagnie des singes et des chiens savants, qu’on couvrait d’oripeaux pour attirer sur elle l’attention de la foule et qu’on ne demandait qu’à vendre à tout venant.

La décision prise par M. le ministre d’État donne lieu d’espérer que la musique aura prochainement en France la protection qui lui manquait, et que d’autres réformes impor-