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qui domine toute la vallée de l’Oos. Au milieu d’une forêt de sapins gigantesques pendent de toutes parts des pans de murs noirs et durs comme les rochers, des pans de rochers droits comme les murs. Dans les cours président des chênes séculaires ; de vieux hêtres curieux passent par les fenêtres leurs têtes chevelues ; d’interminables escaliers, des puits sans fond se présentent à chaque instant devant les pas de l’explorateur étonné, qui ne peut se défendre d’une terreur secrète. Là, vécurent, on ne sait quand, on ne sait quels landgraves, margraves ou burgraves, gens de proie et de brigandage, de meurtre et de rapine, que la civilisation a fait disparaître. Que de crimes ont été commis sous ces voûtes formidables, que de cris de désespoir, que de sanglantes orgies en ont fait retentir les lambris !… Aujourd’hui, ô prose ! ô plate utilité ! un restaurateur les habite, on n’y entend que le bruit des fourneaux d’une vaste cuisine, que les explosions des bouteilles de vin de Champagne, que les éclats de rire des bourgeois allemands et des touristes français en pointe de gaieté. Pourtant, si l’on a le courage d’entreprendre l’ascension du faîte déchiré du monument, on retrouve peu à peu la solitude, le silence et la poésie. Du haut de la dernière plate-forme on aperçoit dans la plaine, de l’autre côté de la montagne, plusieurs riantes petites villes allemandes, des champs bien cultivés, une végétation luxuriante, et le Rhin, morne et silencieux, déroulant son interminable ruban d’argent à l’horizon.

C’est là que je suis parvenu, toujours grondant, comme une locomotive impatiente. Peu à peu le calme et l’indifférence m’ont été rendus, en écoutant les voix mystérieuses qui parlent là avec tant d’indifférence et de calme des hommes et des temps qui ne sont plus.

L’amour de la musique a semblé lui-même se ranimer en moi, en écoutant les harmonies ineffables des harpes éoliennes, placées par quelque charitable Allemand dans les anfractuosités des ruines, où les vents leur font rendre de si poétiques plaintes.