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les bassons, celui-ci voudra des clarinettes, celui-là des altos ; il n’y aura que l’auteur qui n’aura pas voix au chapitre. N’est-ce pas le désordre à son comble, une débâcle générale, la fin de l’art ? Si Beethoven revenait au monde, et si, en entendant sa symphonie ainsi arrangée, il demandait qui s’est avisé de lui donner là une leçon d’instrumentation, vous feriez en sa présence une singulière figure, convenez-en. Oseriez-vous lui répondre : C’est moi ? Lulli cassa un jour un violon sur la tête d’un musicien de l’Opéra qui lui manquait de respect ; ce n’est pas un violon, mais une contre-basse que Beethoven casserait sur la vôtre, en se voyant insulté et bravé de la sorte. » Mon homme réfléchit un instant, puis, frappant du poing sur une table : « C’est égal, dit-il, les contre-basses ne joueront pas ! — Oh ! quant à cela, les gens qui vous connaissent n’en sauraient douter. Nous attendrons. » Il mourut. Son successeur crut devoir réintégrer dans leurs fonctions les contre-basses du scherzo. Mais ce changement n’était pas le seul commis dans la splendide symphonie. Au final se trouve une reprise indiquant que la première partie du morceau doit se dire deux fois. Trouvant que cette répétition faisait longueur, on avait supprimé la reprise. Le nouveau chef d’orchestre, qui, pour les contre-basses, venait de donner raison à Beethoven contre son prédécesseur, donna raison à celui-ci contre Beethoven et maintint la suppression de la reprise. (Voyez l’exercice du libre arbitre de ces messieurs ! n’est-ce pas admirable ?) Le nouveau chef mourut. Si M. T…, qui le remplace, donne maintenant, comme il est probable, complétement raison à Beethoven, il réinstallera la reprise, et il aura fallu en conséquence trois générations de chefs d’orchestre et trente-cinq ans d’efforts des admirateurs de Beethoven pour que cette œuvre merveilleuse du plus grand des compositeurs de musique instrumentale ait pu être exécutée à Paris telle que l’auteur l’a conçue.

Certes, messieurs, vous n’approuverez pas cela.

Voilà pourtant où conduit la tolérance de l’insubordination