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« Ah ! parbleu, dit-il en m’apercevant, vous venez de me faire avoir une belle algarade ! — Comment cela ? — Je sors de la répétition de notre premier concert ; quand nous avons commencé le scherzo de la symphonie en ut mineur, ne voilà-t-il pas nos contre-bassistes qui se sont mis à jouer ; et comme je les arrêtais, ils ont invoqué votre opinion pour blâmer la suppression que j’ai faite des contre-basses dans ce passage. — Comment, répliquai-je, ces malheureux ont eu l’audace de vous désapprouver et celle plus grande encore d’exécuter les parties de contre-basse écrites par Beethoven ! Cela crie vengeance ! — Bah ! bah ! vous raillez ! Les contre-basses ne produisent pas là un bon effet ; je les ai retranchées il y a plus de vingt ans ; j’aime mieux les violoncelles seuls. Vous savez que lorsqu’on monte un ouvrage nouveau il faut toujours que le chef d’orchestre y arrange quelque chose. — Moi ? je n’entendis jamais parler de cela. Je sais seulement que quand on étudie pour la première fois un ouvrage, le chef d’orchestre et ses musiciens doivent s’efforcer d’abord de le bien comprendre, et l’exécuter ensuite avec une fidélité scrupuleuse unie à de l’inspiration, s’il se peut. Voilà tout ce que je sais. Ayant écrit une symphonie, si vous aviez prié Beethoven de la corriger, et s’il eût consenti à la retoucher de haut en bas pour vous être agréable, cela paraîtrait tout naturel ; mais vous, sans autorisation, sans autorité, porter ainsi de bas en haut la main sur une symphonie de Beethoven et en corriger l’orchestre, c’est bien l’exemple le plus extravagant de témérité et d’irrévérence que l’on puisse citer dans l’histoire de l’art. Quant à l’effet produit par les contre-basses dans cet endroit, et qui est mauvais, dites-vous, cela ne regarde ni vous, ni moi, ni personne. Les parties de contre-basse sont écrites par l’auteur, on doit les exécuter. D’ailleurs votre sentiment ne sera certainement pas celui de tous les chefs d’orchestre, autorisés par votre exemple à vous imiter. Vous aimez mieux faire dire le thème du scherzo par les violoncelles, un autre aimera mieux le faire chanter par les