Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teuses qui se permettraient, dans les concerts, d’en chanter des fragments indignement. Chaque semaine un rapport est fait par la police musicale au mandarin directeur des arts ; et si une chanteuse s’est rendue coupable du délit de profanation que je viens d’indiquer, on lui adresse un avertissement en lui coupant l’oreille gauche. Si elle retombe dans la même faute, on lui coupe l’oreille droite pour second avertissement ; après quoi, si elle récidive encore, vient l’application de la peine : on lui coupe le nez. Ce cas est fort rare, et la législation chinoise, d’ailleurs, se montre là un peu sévère, car on ne peut pas exiger une exécution irréprochable d’une cantatrice qui n’a pas d’oreilles. Les pénalités de certains peuples ont quelque chose de comique qui nous étonne toujours. Je me rappelle avoir vu à Moscou une grande dame de l’aristocratie russe balayer une rue en plein jour au moment du dégel. « C’est l’usage, me dit un Russe ; on l’a condamnée à balayer la rue pendant deux heures, pour la punir de s’être laissé prendre en flagrant délit de vol dans un magasin de nouveautés. »

À Taïti, cette charmante province française, les belles insulaires convaincues d’avoir eu des sourires pour un trop grand nombre d’hommes, Français ou Taïtiens, sont condamnées à exécuter de leurs mains un bout de grande route plus ou moins long, pavé ou non pavé ; et la galanterie tourne ainsi à l’avantage des voies de communication. Que de femmes à Paris qui n’arrivent à rien, et qui, dans ce pays-là, feraient joliment leur chemin !

On a dû trouver fort étrange le titre de directeur des arts que j’ai employé tout à l’heure pour un mandarin. On ne peut en effet concevoir l’utilité d’une telle direction, chez nous, où l’art est si libre de s’égarer, où il peut se faire mendiant, voleur, assassin, icoglan ; où il peut mourir de faim, ou parcourir ivre les rues de nos cités ; où chanteurs et cantatrices ont tous leur nez et leurs oreilles, où la première condition requise pour être administrateur d’un théâtre musical est de ne savoir