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pable des membres du clergé à leur égard, tolérance expliquée par une profonde ignorance du sens expressif de l’art des sons et l’absence de goût. L’ouvrage de M. d’Ortigue se propose, en outre, d’exalter le système musical du plain-chant aux dépens de la musique moderne, aux dépens de la musique, en déclarant le plain-chant seul capable d’exprimer dignement le sentiment religieux. L’auteur, en conséquence, cherche d’une part les moyens de remédier aux innombrables abus de la musique introduite à l’église, et, de l’autre, à tirer le plain-chant de la corruption dans laquelle il est tombé.

Ces abus révoltants, dont il donne des exemples, ne sont pas, il est vrai, propres à notre temps ; on sait jusqu’à quel degré de cynisme et d’imbécillité étaient parvenus les anciens contre-pointistes qui prenaient pour thèmes de leurs compositions dites religieuses des chansons populaires dont les paroles grivoises et même obscènes étaient connues de tous et qu’ils faisaient servir de fond à leur trame harmonique pendant le service divin. On connaît la messe de l’Homme armé.

La gloire de Palestrina est d’avoir fait disparaître cette barbarie.

Nous avons pourtant vu, il y a trente-cinq ans à peine, de quoi nos prêtres missionnaires étaient capables dans leur niaise affection pour la musique et leur zèle aveugle et sourd. Ils faisaient chanter dans l’église de Sainte-Geneviève, pendant les cérémonies, des cantiques dont les airs étaient empruntés aux vaudevilles du théâtre des Variétés, tels que celui-ci :

C’est l’amour, l’amour, l’amour,
xxQui fait le monde
xxxxÀ la ronde !

Mais le chef-d’œuvre du genre a été fourni plus récemment par un musicien d’une certaine notoriété et qui a osé faire imprimer ledit chef-d’œuvre pour l’édification des âmes religieuses et des gens de bon sens. Ceci n’est pas un conte fait à plaisir ; j’ai lu cette monstrueuse partition.