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barbe, on pourra raccourcir le tout en même temps. — N’écoute pas cet idiot ; il lui faut une ballade, quelque conte licencieux, ou il s’endort. — N’allez pas ajouter des sottises à vos rôles pour exciter les applaudissements des imbéciles du parterre. » Et tant d’autres.

Et l’on raille un grand maître, encore vivant par bonheur, pour les murailles fortifiées qu’il élève autour de ses œuvres, pour ses impitoyables exigences, pour ses prévisions inquiètes, pour sa méfiance de tous les instants et de tous les hommes. Ah ! qu’il a bien raison, le savant musicien, le savant homme, de toujours imposer pour la représentation de ses nouvelles œuvres des conditions ainsi formulées : Vous me donnerez tels chanteurs, telles cantatrices, tant de choristes, tant de musiciens, tels musiciens et tels choristes ; ils feront tant de répétitions sous ma direction ; on ne répétera rien autre que mon ouvrage pendant tant de mois ; je dirigerai ces études comme je l’entendrai, etc., etc., etc., etc., ou vous me payerez cinquante mille francs !

C’est seulement ainsi que les grandes compositions complexes de l’art musical peuvent être sauvées et garanties de la morsure des rats qui grouillent dans les théâtres, dans les théâtres de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Allemagne même, de partout. Car, il ne faut pas se faire illusion, les théâtres lyriques sont tous les mêmes ; ce sont les mauvais lieux de la musique, et la chaste muse qu’on y traîne ne peut y rentrer qu’en frémissant. Pourquoi cela ? Oh ! nous le savons trop, on l’a trop souvent dit, il n’y a nul besoin de le redire. Répétons seulement qu’une œuvre de la nature d’Alceste ne sera jamais dignement exécutée en l’absence de l’auteur, que sous la surveillance d’un artiste dévoué qui la connaît parfaitement, depuis longtemps familier avec le style du maître, possédant à fond toutes les questions qui se rattachent à la musique et aux études musicales, profondément pénétré de ce qu’il y a de grand et de beau dans l’art, et qui, jouissant d’une autorité justifiée par son