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représentation d’Iphigénie en Tauride, à Prague, qui m’eût donné le choléra, si je n’avais fini par en rire de tout mon cœur. La mise en scène était digne du reste. Au dénouement, le vaisseau sur lequel Oreste et sa sœur allaient monter pour retourner en Grèce, était orné d’une triple rangée de canons.

L’exécution musicale ni la mise en scène des œuvres de Gluck à l’Opéra de Paris n’ont rien de commun avec ces exhibitions grotesques. Cette fois-ci surtout, on a donné au grand homme un palais peuplé de serviteurs dévoués et intelligents ; partout ailleurs (excepté à Berlin), il serait dans une grange. Les chanteurs et les instrumentistes de l’Opéra ne sont pas, il faut en convenir, entrés tout d’abord dans l’esprit de ce noble style ; mais au fur et à mesure que le nombre des répétitions augmentait, ils sentaient le charme les prendre, et l’intelligence leur venait avec le sentiment de ces beautés si nouvelles pour eux. C’est que, lorsqu’il s’agit des œuvres de Gluck, rien n’est plus différent de l’exécution rêvée par l’auteur qu’une certaine exécution fidèle, mais plate, et qui consisterait à dire la note seulement. Il faut à une fidélité absolue dans le chant, dans le rhythme, dans les accents, dans tout, unir en outre une manière de phraser les mélodies, un ménagement des nuances, une articulation des mots tels que, sans ces qualités, la divine fleur d’expression qui rend ces œuvres si émouvantes n’a plus ni couleurs ni parfums, et que l’œuvre entière périt. Gluck avait raison de trouver sa présence aux répétitions de ses ouvrages aussi indispensable que le soleil l’est à la création.

Lui seul pouvait tout éclairer, tout animer, donner à tout la chaleur et la vie. Mais il eut cruellement à souffrir. Ses interprètes mirent sa patience à de rudes épreuves.

À son époque, les chœurs n’agissaient pas ; plantés à droite et à gauche de la scène comme des tuyaux d’orgues, ils récitaient leur leçon avec un calme désespérant. Ce fut lui qui tenta de les ranimer ; il leur indiquait les gestes et les mouvements à faire ; il se consumait en efforts, et il eût succombé à la peine