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des hommes graves obligés de sortir pour soustraire aux regards du public la violence de leurs émotions. Quant à celles que l’auteur de cette étude doit personnellement à la musique, il affirme que rien au monde ne saurait en donner l’idée exacte à qui ne les a point éprouvées. Sans parler des affections morales que cet art a développées en lui, et pour ne citer que les impressions reçues et les effets éprouvés au moment même de l’exécution des ouvrages qu’il admire, voici ce qu’il peut dire en toute vérité : À l’audition de certains morceaux de musique, mes forces vitales semblent d’abord doublées ; je sens un plaisir délicieux, où le raisonnement n’entre pour rien ; l’habitude de l’analyse vient ensuite d’elle-même faire naître l’admiration ; l’émotion croissant en raison directe de l’énergie ou de la grandeur des idées de l’auteur, produit bientôt une agitation étrange dans la circulation du sang ; mes artères battent avec violence ; les larmes qui, d’ordinaire, annoncent la fin du paroxysme, n’en indiquent souvent qu’un état progressif, qui doit être de beaucoup dépassé. En ce cas, ce sont des contractions spasmodiques des muscles, un tremblement de tous les membres, un engourdissement total des pieds et des mains, une paralysie partielle des nerfs de la vision et de l’audition, je n’y vois plus, j’entends à peine ; vertige… demi-évanouissement… On pense bien que des sensations portées à ce degré de violence sont assez rares, et que d’ailleurs il y a un vigoureux contraste à leur opposer, celui du mauvais effet musical, produisant le contraire de l’admiration et du plaisir. Aucune musique n’agit plus fortement en ce sens, que celle dont le défaut principal me paraît être la platitude jointe à la fausseté d’expression. Alors je rougis comme de honte, une véritable indignation s’empare de moi, on pourrait, à me voir, croire que je viens de recevoir un de ces outrages pour lesquels il n’y a pas de pardon ; il se fait, pour chasser l’impression reçue, un soulèvement général, un effort d’excrétion dans tout l’organisme, analogue aux efforts