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s’unissent, le chœur entier s’exclame, se lamente, et quand toutes les voix se sont éteintes dans un pianissimo, les instruments, restés seuls, terminent et complètent ce concert de douleurs par quatre mesures d’une expression grave et résignée qui, dans la langue mystérieuse de l’orchestre, semblent dire au cœur et à la pensée bien plus que n’ont dit les vers du poëte.

Dérobez-moi ces pleurs, cessez de m’attendrir.


reprend Alceste en se levant du siége sur lequel elle était tombée pendant la lamentation précédente. Après cet instant de résignation, le désespoir est sur le point d’envahir de nouveau son âme. Elle se tait. Un instrument de l’orchestre élève une plainte mélodieuse qu’accompagnent d’autres instruments avec une sorte d’arpége obstiné lent, dont la quatrième note est toujours accentuée. Ce retour constant du même accent, au même endroit, avec le même degré d’intensité, est l’image de la douleur qu’éveille chaque pulsation du cœur d’Alceste sous l’obsession d’une implacable pensée. La reine pleure sur elle-même et implore la pitié de ses amis dans cet immortel adagio qui dépasse en grandeur de style tout ce que l’on connaît du même genre en musique :

Ah ! malgré moi mon faible cœur partage…


Quel tissu mélodique ! quelles modulations ! quelle gradation dans les accents sur cet accompagnement acharné de l’orchestre !

Voyez quelle est la rigueur de mon sort !
Épouse, mère et reine si chérie,
Rien ne manquait au bonheur de ma vie,
Et je n’ai plus d’autre espoir que la mort !

Mais voilà l’accès revenu, le désespoir encore est le maître, le délire fiévreux reparaît plus brûlant ; l’orchestre tremble dans un mouvement rapide :