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Il faut savoir que ce Bertoni, si inconnu aujourd’hui, avait, en 1766, fait représenter au théâtre de San Benedetto, de Venise, l’Orfeo de Calsabigi, dont il avait refait la musique.

En publiant sa partition (que j’ai lue), il crut devoir s’excuser d’une telle hardiesse. « Je ne prétends ni n’espère, dit-il dans sa préface, obtenir pour mon Orfeo un succès comparable à celui qui vient d’accueillir le chef-d’œuvre de M. Gluck, dans toute l’Europe, et si je puis seulement mériter les encouragements de mes compatriotes, je m’estimerai trop heureux. »

Il avait raison d’être modeste, car sa musique est en quelque sorte calquée sur celle de Gluck ; en plusieurs endroits même, dans la scène des enfers surtout, les formes rhythmiques du maître allemand sont si fidèlement imitées, que, si l’on regarde la partition d’une certaine distance, la figure des groupes de notes fait illusion, et l’on croit voir l’Orphée de Gluck.

Ne se peut-il pas que celui-ci ait dit, à l’occasion de l’air de Tancrede : « Cet Italien m’a assez pillé pour son Orfeo, je puis bien à mon tour lui prendre un air ? » Cela est possible, mais trop peu digne d’un tel homme pour qu’on se laisse aller volontiers à le croire.

Je ne sais rien de plus sur ce fait.

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Quand Adolphe Nourrit chanta à l’Opéra le rôle d’Orphée, il supprima l’air de bravoure, soit que le morceau ne lui plût pas, soit qu’il connût la fraude, et le remplaça par un fort bel air agité de l’Écho et Narcisse, de Gluck,

Ô transport, ô désordre extrême.


dont les paroles et la musique se trouvent par hasard convenir à la situation. C’est, je crois, ce qu’on devrait faire toujours.