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modestes de la salle qui permettent d’entendre et les paroles si intimement unies à la musique, et les délicatesses de l’instrumentation. Je crois l’avoir prouvé, les salles trop vastes sont fatales à toute musique expressive, aux finesses et aux charmes les plus intimes de l’art. Ce sont les vastes salles qui ont amené dans les livrets d’opéras l’emploi de ces non-sens, de ces sottises audacieuses, qu’on n’entend pas (disent les cyniques qui les commettent). Ce sont les salles trop vastes, je ne me lasserai pas de le répéter, qui semblent justifier certains compositeurs des brutalités insensées de leur orchestre. Les salles trop vastes n’ont-elles pas ainsi contribué à produire l’école de chant dont nous jouissons, école où l’on vocifère au lieu de chanter, où, pour donner plus de force à l’émission du son, le chanteur respire de quatre en quatre notes, souvent de trois en trois, brisant, morcelant, désarticulant, détruisant ainsi toute phrase bien faite, toute noble mélodie, supprimant les élisions, faisant à tout bout de chant des vers de treize ou de quatorze pieds, sans compter l’écartèlement du rhythme musical, sans compter les hiatus et cent autres vilenies qui transforment la mélodie en récitatif, les vers en prose, le français en auvergnat ? Ce sont ces gouffres à recettes qui ont amené de tout temps les hurlements des ténors, des basses, des soprani de l’Opéra, et ont fait les plus fameux chanteurs de ce théâtre mériter les appellations de taureaux, de paons et de pintades, que leur donnaient les gens grossiers, accoutumés à appeler les choses par leur nom.

On cite même à ce sujet un joli mot de Gluck. Pendant les répétitions d’Orphée à l’Académie royale de musique, Legros s’obstinait à hurler, selon sa méthode, la phrase de l’entrée au Tartare : « Laissez-vous toucher par mes pleurs ! » Un jour enfin le compositeur exaspéré l’interrompit au milieu de sa période et lui envoya cette bourrade en pleine poitrine : « Monsieur ! monsieur ! voulez-vous bien modérer vos clameurs ! De par le diable, on ne crie pas ainsi en enfer ! »