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groupe en groupe, examinant ces beaux jeunes visages pâles, espérant reconnaître celui d’Eurydice, et toujours trompé dans son attente. Le découragement, la crainte, s’emparent de lui, il va désespérer, quand des voix s’élevant d’un bosquet peu éloigné lui chantent sur une ineffable mélodie :

Eurydice va paraître
Avec de nouveaux attraits.


Alors sa joie renaît ; il sourit de ce sourire mouillé de larmes que font naître les suprêmes ravissements. Les ombres amènent enfin la douce épouse, « dulcis conjux. » Orphée, sans se retourner, sans la voir, et averti de son approche par le sens inconnu de l’extase, le sens du grand amour, commence à frissonner. La main d’Eurydice est mise dans la sienne ; à ce contact adoré, on le voit bouleversé, haletant, près de tomber sans force. Il s’éloigne cependant d’un pas incertain, entraînant Eurydice encore froide et étonnée, et gravit ainsi la colline qui conduit sous le ciel des vivants, pendant que les ombres immobiles et silencieuses tendent d’en bas, en signe d’adieu, leurs bras vers les deux amants. Quel tableau ! quelle musique ! et quelle pantomime de madame Viardot ! C’est le sublime dans la grâce, c’est l’idéal de l’amour, c’est divinement beau.

Ô Polonius sans cœur qui ne sentez pas cela, vous êtes bien à plaindre.

Nous avons à admirer beaucoup encore. Sans parler de l’agitation douloureuse avec laquelle madame Viardot a dit toute la partie d’Orphée dans le grand duo :

Viens, suis un époux qui t’adore.


de son attitude et de son accent dans son aparté de l’autre duo, à ces mots placés sur une déchirante progression chromatique :

Que mon sort est à plaindre !

Il nous reste à signaler le chef-d’œuvre culminant de la