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délicatesse de leurs organes et la culture de leur esprit, supérieurs aux autres hommes, il me semble, dis-je, que cet artiste a du génie, qu’il mérite la gloire, qu’il a produit du beau. Tel fut Gluck. Son Orphée est presque centenaire, et après un siècle d’évolutions, de révolutions, d’agitations diverses dans l’art et dans tout, cette œuvre a profondément attendri et charmé le public du Théâtre-Lyrique. Qu’importe, après cela, l’opinion des gens à qui il faut, comme au Polonius de Shakspeare, un conte grivois pour les empêcher de s’endormir… Les affections et les passions d’art sont comme l’amour : on aime parce qu’on aime, et sans tenir le moindre compte des conséquences plus ou moins funestes de l’amour.

Oui, l’immense majorité des auditeurs, à la première représentation d’Orphée, a éprouvé une admiration sincère pour tant de traits de génie répandus dans cette ancienne partition. On a trouvé les chœurs de l’introduction d’un caractère sombre parfaitement motivé par le drame, et constamment émouvants, par la lenteur même de leur rhythme et la solennité triste de leur mélodie. Ce cri douloureux d’Orphée « Eurydice ! » jeté par intervalles au milieu des lamentations du chœur, est admirable, disait-on de toutes parts. La musique de la romance :

Objet de mon amour,
Je te demande au jour
xxAvant l’aurore,


est une digne traduction des vers de Virgile :

Te dulcis conjux, te solo in littore secum,
Te veniente die, te decedente canebat.

Les récitatifs dont les deux strophes de ce morceau sont précédées et suivies ont une vérité d’accent et une élégance de formes très-rares ; l’orchestre lointain, placé dans la coulisse et répétant en écho la fin de chaque phrase du poète éploré, en augmente encore le charme douloureux. Le premier air de