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plus un grain de beauté, c’est une verrue, un polype, une loupe qui s’étale sur un visage d’une insignifiance parfaite, quand il n’est pas d’une laideur absolue. De pareils praticiens sont les fléaux de la musique ; ils démoralisent le public, et c’est une mauvaise action de les encourager. Quant aux chanteurs qui ont une voix, une voix humaine et qui chantent, qui savent vocaliser et qui chantent, qui savent la musique et qui chantent, qui savent le français et qui chantent, qui savent accentuer avec discernement et qui chantent, et qui tout en chantant respectent l’œuvre et l’auteur dont ils sont les interprètes attentifs, fidèles et intelligents, le public n’a trop souvent pour eux qu’un dédain superbe ou de tièdes encouragements. Leur visage régulier, tout uni, n’a pas de grain de beauté, pas de loupe, pas la moindre verrue. Ils ne portent pas d’oripeaux, ils ne dansent pas sur la phrase. Ceux-là n’en sont pas moins les véritables chanteurs utiles et charmants, qui, restant dans les conditions de l’art, méritent les suffrages des gens de goût en général, et la reconnaissance des compositeurs en particulier. C’est par eux que l’art existe, c’est par les autres qu’il périt. Mais, direz-vous, oserait-on prétendre que le public n’applaudit pas aussi, et très-chaleureusement, de grands artistes maîtres de toutes les ressources réelles du chant dramatique musical, doués de sensibilité, d’intelligence, de virtuosité et de cette faculté si rare qu’on nommé l’inspiration ? Non, sans doute ; le public quelquefois applaudit aussi ceux-là. Le public ressemble alors à ces requins qui suivent les navires et qu’on pêche à la ligne : il avale tout, le morceau de lard et le harpon.