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taires de l’art du chant : s’il pousse un son avec violence, on applaudit violemment la sonorité de cette note.

Une femme possède-t-elle pour tout bien une étendue de voix exceptionnelle : quand elle donne, à propos ou non, un sol ou un fa grave plus semblable au râle d’un malade qu’à un son musical, ou bien un fa aigu aussi agréable que le cri d’un petit chien dont on écrase la patte, cela suffit pour que la salle retentisse d’acclamations.

Celle-ci, qui ne pourrait faire entendre la moindre mélodie simple sans vous causer des crispations, dont la chaleur d’âme égale celle d’un bloc de glace du Canada, a-t-elle le don de l’agilité instrumentale : aussitôt qu’elle lance ses serpenteaux, ses fusées volantes, à seize doubles croches par mesure, dès qu’elle peut de son trille infernal vous vriller le tympan avec une insistance féroce pendant une minute entière sans reprendre haleine, vous êtes assuré de voir bondir et hurler d’aise

Les claqueurs monstrueux au parterre accroupis.

Un déclamateur s’est-il fourré en tête que l’accentuation vraie ou fausse, mais outrée, est tout dans la musique dramatique, qu’elle peut tenir lieu de sonorité, de mesure, de rhythme, qu’elle suffit à remplacer le chant, la forme, la mélodie, le mouvement, la tonalité ; que, pour satisfaire les exigences d’un tel style ampoulé, boursouflé, bouffi, crevant d’emphase, on a le droit de prendre avec les plus admirables productions les plus étranges libertés : quand il met ce système en pratique devant un certain public, l’enthousiasme le plus vif et le plus sincère le récompense d’avoir égorgé un grand maître, abîmé un chef-d’œuvre, mis en loque une belle mélodie, déchiré comme un haillon une passion sublime.

Ces gens-là ont une qualité qui, en tous cas, ne suffirait point à faire d’eux des chanteurs, mais qu’ils ont d’ailleurs, en l’exagérant, transformée en défaut, en vice repoussant. Ce n’est