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bien de fois m’est-il arrivé, au temps où l’on avait encore la bonté de représenter, et pas trop mal, à l’Opéra, les œuvres de Gluck, de rester froid, mais irrité de ma froideur, en entendant le premier acte d’Orphée ! Je savais, j’étais sûr pourtant que c’est là une merveille d’expression, de poétique mélodie ; l’exécution ne manquait d’aucune qualité essentielle. Mais la scène représentant un bois sacré était ouverte de toutes parts, le son se perdait au fond, à droite et à gauche du théâtre, il n’y avait pas de réflecteurs, et, partant, plus d’effet ; Orphée semblait chanter réellement dans une plaine de la Thrace : Gluck avait tort. Ce même rôle d’Orphée chanté encore par A. Nourri, quelques jours après, ces mêmes chœurs exécutés par les mêmes choristes, ce même air pantomime exécuté par le même orchestre, mais dans la salle du Conservatoire, retrouvaient toute leur magie ; on s’extasiait, on s’imprégnait de poésie antique : Gluck avait raison.

Les symphonies de Beethoven, qui bouleversent tout dans cette salle du Conservatoire, ont été exécutées plusieurs fois à l’Opéra, elles n’y produisaient rien ; Beethoven avait tort. Le Don Juan de Mozart, si ardent, si passionné et si passionnant au Théâtre-Italien, quand l’exécution en est bonne, est glacial à l’Opéra, tout le monde en convient. Le Mariage de Figaro y paraîtrait plus froid encore. À l’Opéra, Mozart a donc tort !…

Les chefs-d’œuvre de la première manière de Rossini, le Barbier, la Cenerentola et tant d’autres, perdent à l’Opéra leur physionomie si piquante et si spirituelle ; on en jouit encore, mais froidement de loin, comme d’un jardin qu’on regarde avec un télescope. Ce Rossini-là a donc tort !…

Et le Freyschütz, voyez comme il se traîne languissant à l’Opéra, ce drame musical si vivace, d’une si sauvage énergie ! Weber a donc tort ?…

Je pourrais aisément multiplier mes citations. Qu’est-ce qu’un théâtre dans lequel Gluck, Mozart, Weber, Beethoven