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Maintenant, supposez qu’au milieu de ce même morceau, rendu par les mêmes virtuoses, le salon dans lequel on l’exécute puisse s’agrandir graduellement, et que par suite de cet agrandissement progressif du local, l’auditoire soit peu à peu éloigné des exécutants. Bien ; voilà notre salon grand comme un théâtre ordinaire ; notre auditeur, qui déjà l’instant d’auparavant sentait l’émotion le gagner, commence à reprendre son calme ; il entend toujours, mais il ne vibre presque plus ; il admire l’œuvre, mais par raisonnement et non plus par sentiment ni par suite d’un entraînement irrésistible. Le salon s’élargit encore, l’auditeur est éloigné de plus en plus du foyer musical. Il en est aussi loin qu’il le serait, si les trois concertants étaient groupés au milieu de la scène de l’Opéra, et s’il était, lui, assis au balcon des premières loges de face. Il entend toujours, pas un son ne lui échappe, mais il n’est plus atteint par le fluide musical qui ne peut parvenir jusqu’à lui ; son trouble s’est dissipé, il redevient froid, il éprouve même une sorte d’anxiété désagréable et d’autant plus pénible qu’il fait plus d’efforts d’attention pour ne pas perdre le fil du discours musical. Mais ses efforts sont vains, l’insensibilité les paralyse, l’ennui le gagne, le grand maître le fatigue, l’obsède, le chef-d’œuvre n’est plus pour lui qu’un petit bruit ridicule, le géant un nain, l’art une déception ; il s’impatiente et n’écoute plus. Autre épreuve !

Suivez une bande militaire exécutant une marche brillante dans la rue Royale, je suppose ; vous l’écoutez avec plaisir, vous marchez allègrement à sa suite, son rhythme vous entraîne, ses fanfares guerrières vous animent, et vous rêvez déjà de gloire et de combats. La bande militaire entre sur la place de la Concorde, vous l’entendez toujours, mais les réflecteurs du son n’existant plus, son prestige se dissipe, vous ne vibrez plus et vous la laissez continuer son chemin, et vous n’en faites pas plus de cas que d’une musique de saltimbanques.

À présent, pour rentrer dans le cœur de notre sujet, com-