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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

motif à prendre de ce qui précède, pour nous porter à abandonner l’étude de l’histoire de la nature, à renoncer aux observations et aux expériences. Si elles sont utiles aux hommes, si elles nous conduisent à tirer des conclusions générales, ce n’est point à cause de relations ou manières d’être immuables, données dans les choses elles-mêmes, mais uniquement par l’effet de la bonté de Dieu et de la bienveillance qu’il témoigne aux hommes dans l’administration du monde. (Voyez §§ 30 et 31.) Quatrièmement, une observation diligente des phénomènes à notre portée peut nous conduire à la connaissance des lois générales de la nature, et de là à la déduction des autres phénomènes. Je ne dis pas à leur démonstration, car toutes les déductions de cette espèce dépendent de la supposition que l’Auteur de la nature opère toujours d’une manière uniforme, et en observant constamment ces règles que nous prenons pour des principes ; et c’est ce que nous ne pouvons savoir avec évidence.

108. [Il ressort des sections 66 et suivantes que les méthodes constantes et régulières de la nature peuvent être nommées, sans impropriété, le langage dont son Auteur se sert pour nous découvrir ses attributs et diriger nos actes vers la commodité et le bonheur de la vie humaine. Et, pour moi], ceux qui formulent des règles générales d’après les phénomènes, et ensuite déduisent les phénomènes de ces règles, me semblent considérer des signes plutôt que des causes, [être des grammairiens, et leur art la grammaire de la nature. Il y a deux manières de s’instruire dans ce langage : l’une par la règle, l’autre par la pratique.] Un homme peut bien le lire et ne pas comprendre la grammaire, n’être pas capable de dire en vertu de quelle règle une chose est telle ou telle[1]. Et de même qu’il est fort possible d’écrire improprement, tout en observant strictement les règles de la grammaire, ainsi il peut arriver qu’en arguant des lois générales nous étendions l’analogie trop loin, et que nous tombions ainsi dans l’erreur.

109. [Continuons la comparaison.] De même que dans ses lectures, un homme sage aime mieux donner son attention

  1. Après ces mots : « plutôt que des causes », et au lieu de ce qui suit, la seconde édition porte cette variante : « Un homme peut bien entendre les signes naturels sans connaître leur analogie, sans être capable de dire en vertu de quelle règle… » (Note de Renouvier.)