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BERKELEY

choses, car nous sommes enclins à prêter trop de force aux analogies et nous nous livrons, au grand préjudice de vérité, à une certaine ardeur qui nous porte à étendre notre connaissance, à l’ériger en théorèmes généraux. Par exemple, dans la question de la gravitation, ou attraction mutuelle, il suffit que le phénomène nous apparaisse en beaucoup de cas pour que plusieurs aillent incontinent à le déclarer universel, à prononcer que c’est une qualité essentielle, inhérente à tous les corps possibles, d’attirer tous les autres corps et d’être attirés par eux. Cependant, il est évident que les étoiles fixes n’ont pas cette tendance les unes vers les autres ; et il s’en faut tellement que la gravitation soit une qualité essentielle aux corps, que, dans certains cas, le principe contraire semble ressortir de lui-même, comme dans l’accroissement des plantes dans le sens vertical, et dans l’élasticité de l’air. Il n’y a rien de nécessaire ou d’essentiel à envisager dans cette question. Tout y dépend de la volonté de l’Esprit qui gouverne. Il fait que certains corps adhèrent les uns aux autres ou tendent les uns vers les autres suivant différentes lois, et Il en tient d’autres à des distances fixes. À d’autres encore, Il donne une tendance toute contraire, à se séparer et à s’éloigner, exactement comme Il le juge convenable.

107. Nous pouvons maintenant, je crois, poser les conclusions suivantes. Premièrement, il est clair que les philosophes se livrent à un vain jeu, quand ils cherchent des causes efficientes naturelles, distinctes d’un esprit (mind or spirit). Secondement, considérant que la création tout entière est l’œuvre d’un Agent sage et bon, il conviendrait, ce semble, aux philosophes d’appliquer leurs pensées aux causes finales, contrairement à ce qu’en jugent quelques-uns, [car outre qu’il y aurait là une occupation attrayante pour l’esprit, on y trouverait ce grand avantage non seulement de dévoiler les attributs du Créateur, mais encore d’être guidé en bien des cas pour l’emploi propre et utile des choses]. J’avoue que je ne vois pas pour quelle raison on ne regarderait point comme une excellente manière de rendre compte des choses, et tout à fait digne d’un philosophe, celle qui consiste à marquer les fins diverses auxquelles les phénomènes naturels ont été adaptés, et pour lesquelles ils ont été inventés originairement avec une indicible sagesse. Troisièmement, il n’y a point de