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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

mènes de ce genre ne peut sembler étrange ou surprenant à un homme qui a soigneusement observé et comparé les effets de la nature. On ne juge étonnant que ce qui n’est pas commun, ce qui est isolé, hors du cours ordinaire de notre observation. Que les corps tendent vers le centre de la terre, on ne le trouve pas étrange, attendu que c’est un fait perçu à tous les moments de la vie. Mais qu’ils gravitent pareillement vers le centre de la lune, ceci est bizarre et inexplicable aux yeux de la plupart des gens, parce qu’on ne s’en aperçoit que dans les marées. Mais un philosophe, dont les pensées s’étendent largement sur la nature, observe une certaine similitude des apparences, tant dans le ciel que sur la terre, d’où se conclut une tendance mutuelle de corps innombrables les uns vers les autres. Il donne alors le nom d’« attraction » à cette tendance, et tout ce qu’il peut y ramener, il le regarde à bon droit comme expliqué. Il explique ainsi les marées par l’attraction du globe terraqué vis-à-vis de la lune, et il ne voit là aucune singularité ou anomalie, mais seulement un exemple particulier d’une loi générale de la nature.

105. Si donc nous considérons la différence qui existe entre les philosophes qui s’occupent de philosophie naturelle et les autres hommes, par rapport à la connaissance des phénomènes, nous trouverons qu’elle ne dépend point d’une connaissance plus exacte de la cause efficiente qui les produit — car cette cause ne peut être autre que la volonté d’un esprit, — mais uniquement d’une largeur de compréhension, grâce à laquelle se découvrent les analogies, les harmonies, les accords des œuvres de la nature, et s’expliquent les effets particuliers. Ces effets s’expliquent, c’est-à-dire qu’ils sont ramenés à des lois générales (voyez § 62) ; et ces lois sont fondées sur l’uniformité et les analogies observées dans la production des effets naturels, ce qui les rend aussi le plus conformes à l’esprit et les lui fait rechercher. Elles étendent notre vue loin au delà de ce qui est présent et proche de nous, et nous permettent des conjectures très probables touchant des choses qui peuvent se produire à de grandes distances, tant de lieu que de temps, et des prédictions de celles qui doivent arriver. Cette espèce d’effort vers l’omniscience est d’un grand attrait pour l’esprit.

106. Mais il faut aller avec précaution dans ces sortes de