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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

(comme il me semble évidemment qu’ils y vont), je suis sûr cependant que tous les amis du savoir, de la paix et de la religion ont lieu de désirer que je ne me trompe pas.

97. Après l’existence externe des objets de la perception, une autre grande source d’erreurs et de difficultés, par rapport à la connaissance intellectuelle, est la doctrine des idées abstraites, telle qu’elle a été exposée dans l’Introduction. Les choses les plus simples du monde, celles qui nous sont le plus familières et que nous connaissons parfaitement, paraissent étrangement difficiles et incompréhensibles quand on les considère d’une manière abstraite. Le temps, le lieu et le mouvement, pris dans le particulier et dans le concret, sont ce que tout le monde connaît ; mais, une fois passés par les mains des métaphysiciens, ils deviennent trop abstraits et raffinés pour être compris des hommes qui n’ont que le sens ordinaire. Dites à votre domestique de se trouver en tel temps, à tel lieu, et vous ne le verrez jamais s’arrêter à délibérer sur le sens de ces mots. Il n’éprouve pas la moindre difficulté à concevoir ce temps, ce lieu particulier, ou le mouvement par lequel il doit se rendre là. Mais si le temps est pris, abstraction faite de toutes ces actions et idées particulières qui diversifient la journée et comme la pure continuation d’existence, ou durée en abstrait, alors ce sera peut-être un embarras, même pour un philosophe, de le comprendre.

98. Pour mon compte, quand j’essaye de me faire une idée du temps simple, séparée de la succession des idées dans mon esprit, ayant lieu suivant un cours uniforme, et à laquelle participent tous les êtres, je me trouve embarrassé et perdu dans d’inextricables difficultés. Je n’en ai absolument pas de notion. J’entends seulement qu’on le dit infiniment divisible, et qu’on parle de lui d’une manière qui me conduit à accueillir des idées extraordinaires sur mon existence. Cette doctrine, en effet, nous met dans l’absolue nécessité d’admettre ou que nous passons des parties de durée innombrables sans avoir une pensée, ou que nous sommes anéantis à chaque moment de notre vie : deux choses qui semblent également absurdes. Le temps donc n’étant rien quand il est séparé de la succession des pensées dans nos esprits, il s’ensuit que la durée de tout esprit fini (finite spirit) doit se mesurer par le nombre des idées ou des actions