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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

qualités sensibles existent dans une substance inerte, étendue, non percevante, qu’ils appellent Matière. Et ils attribuent à cette matière de subsister naturellement, extérieurement à tous les êtres pensants, distincte de l’être-perçu par un esprit quelconque, même par l’esprit éternel du Créateur, en qui ils ne supposent que de simples idées des substances corporelles qu’Il a créées, si tant est qu’ils veuillent bien accorder qu’elles sont créées.

92. Car, si nous avons montré que la doctrine de la Matière, ou Substance corporelle, a été le principal pilier et soutien du scepticisme, il est également vrai que les édifices impies de l’athéisme et de l’irréligion se sont tous élevés sur le même fondement. On a jugé tellement difficile de concevoir la Matière comme tirée du néant, que les plus illustres d’entre les philosophes de l’antiquité, et ceux-là mêmes qui soutenaient l’existence de Dieu, ont posé la Matière incréée et coéternelle avec Lui. Combien la substance matérielle a été favorable aux athées de tous les âges, il serait inutile de le rapporter. Tous leurs monstrueux systèmes en sont dans une dépendance tellement visible et nécessaire, que si on leur retire cette pierre angulaire, ils ne peuvent faire autrement que de crouler de fond en comble. Aussi ne vaut-il pas la peine de nous en occuper davantage, et d’examiner plus particulièrement les absurdités de chaque misérable secte d’athées.

93. Que des personnes impies et profanes s’abandonnent volontiers à ces systèmes qui favorisent leurs inclinations, en tournant la substance immatérielle en dérision, en supposant l’âme divisible et sujette à corruption aussi bien que le corps — ce qui est exclure tout dessein, toute intelligence et toute liberté de la formation des choses, et mettre à la place, pour la racine et l’origine de tous les êtres, une substance non pensante et stupide, existante de soi, — on doit trouver cela tout naturel. Il est naturel que les mêmes personnes prêtent l’oreille à ceux qui nient la Providence, ou la surveillance des affaires de ce monde par un Esprit supérieur, et attribuent la série entière des événements à l’aveugle hasard, ou à la nécessité fatale qui naît de l’impulsion mutuelle des corps. Et, de l’autre côté, lorsque des hommes dont les principes sont meilleurs voient tous les ennemis de la religion attacher tant d’importance à la Matière non pen-