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BERKELEY

autant qu’elle est en conformité avec les choses réelles, ils ne peuvent être certains d’avoir aucune connaissance quelconque. Comment serait-il possible de connaître que les choses qui sont perçues sont conformes à celles qui ne sont pas perçues, qui existent hors de l’esprit ?

87. La couleur, la figure, le mouvement, l’étendue et les autres qualités, considérées simplement comme autant de sensations dans l’esprit, sont parfaitement connues, n’y ayant rien en elles qui ne soit perçu. Mais si on les regarde comme des marques ou images rapportées à des choses ou archétypes existant hors de l’esprit, on tombe en plein dans le scepticisme. On ne voit que des apparences, et non les qualités réelles des choses. Ce que peuvent être l’étendue, la figure ou le mouvement de quelque chose, réellement et absolument, ou en soi, il nous est impossible de le connaître : nous ne savons que la relation qu’ils soutiennent avec nos sens. Les choses demeurant les mêmes, nos idées varient, et laquelle d’entre celles-ci représente la vraie qualité réellement existante dans la chose, ou même s’il y en a une qui possède ce privilège, il n’est pas en notre pouvoir de le décider. Ainsi, autant que nous sachions, tout ce que nous voyons, entendons et sentons peut n’être que fantôme et vaine chimère, et ne s’accorder nullement avec les choses réelles, existantes in rerum natura. Tout ce scepticisme [qu’on affecte] provient de ce qu’on suppose qu’il y a une différence entre les choses et les idées, et que les premières subsistent hors de l’esprit ou imperçues. Il serait facile de s’étendre sur ce sujet et de montrer comment l’argumentation des sceptiques en tous temps dépend de la supposition des objets externes. [Mais ceci paraît trop évident pour qu’on s’y arrête.]

88. Tant que nous attribuons une existence réelle aux choses non pensantes, une existence distincte de leur être perçu, il nous est non seulement impossible de connaître avec évidence la nature d’un être quelconque non pensant, mais même de savoir qu’il existe. De là vient que nous voyons des philosophes se défier de leurs sens et douter de l’existence du ciel et de la terre, de tout ce que nous voyons ou sentons, et jusque de leur propre corps. Et après bien des peines et des efforts de pensée, ils sont forcés d’avouer que nous ne