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BERKELEY

mot rien de tel que cette matière définie par les philosophes ; — cependant, si on veut retirer de cette idée de matière les idées positives d’étendue, figure, solidité et mouvement, et n’entendre par ce mot qu’une substance inerte et insensible, qui existe hors de l’esprit, ou non perçue, et qui est l’occasion de nos idées, c’est-à-dire en présence de laquelle il a plu à Dieu de les exciter, on ne voit pas pourquoi la Matière, prise en ce sens, ne pourrait pas peut-être exister. Pour répondre à ceci, je dis d’abord qu’il ne semble pas moins absurde de supposer une substance sans accidents que des accidents sans une substance. Mais ensuite, en admettant que nous accordions l’existence possible de cette substance inconnue, où pouvons-nous supposer qu’elle est ? Qu’elle n’existe pas dans l’esprit, c’est convenu ; et qu’elle n’existe pas en un lieu, cela n’est pas moins certain, puisqu’il a été prouvé que tout lieu et toute étendue n’existent que dans l’esprit. Il faut conclure de là qu’elle n’existe absolument nulle part.

68. Examinons un peu la définition qui nous est donnée ici de la matière. Elle n’agit pas, ne perçoit pas et n’est pas perçue ; car c’est là tout ce qu’on veut dire en l’appelant une substance inconnue, insensible et inerte. Mais cette définition est entièrement formée de termes négatifs, à la réserve de cette notion relative de support, ou être dessous. On doit dès lors observer qu’elle ne supporte rien du tout, et je prie que l’on considère à quel point cela revient à la définition d’une non entité. Mais, dites-vous, c’est l’occasion inconnue en présence de laquelle les idées sont excitées en nous par la volonté de Dieu. Mais je voudrais bien savoir comment pourrait nous être présent quelque chose qui ne serait percevable ni par les sens ni par la réflexion, ni capable de produire aucune idée dans nos esprits, et qui avec cela n’aurait ni forme ni étendue et n’existerait en aucun lieu. Les mots : être présent, expliqués de la sorte, doivent nécessairement se prendre en quelque sens abstrait et étrange que je ne suis pas capable de comprendre.

69. Examinons en outre ce qu’on entend par occasion. Autant que je puis en juger d’après l’usage commun du langage, ce mot signifie ou l’agent qui produit un effet, ou quelque autre chose qu’on voit l’accompagner ou le précéder