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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

informe d’avance. De même le bruit que j’entends n’est point l’effet de tel mouvement, de telle collision des corps environnants : il n’en est que le signe. 2o  La raison pour laquelle les idées sont disposées en combinaisons artificielles et régulières, en machines, est la même pour laquelle on forme des mots avec des lettres assemblées. Pour qu’un petit nombre d’idées originales puissent être employées à la signification d’un grand nombre d’effets et d’actions, il est nécessaire qu’elles entrent en composition les unes avec les autres, et d’une manière variée. Et si leur usage est destiné à être permanent et universel, ces combinaisons doivent se faire suivant des règles et être inventées savamment. Nous recevons par ce moyen d’abondantes informations touchant ce que nous avons à attendre de telles et telles actions, et touchant la marche à suivre pour exciter telles et telles idées. C’est en effet là tout ce que je conçois qu’on entend clairement, quand on dit que la figure, la contexture et le mécanisme des parties internes des corps, tant naturels qu’artificiels, une fois connues, nous mènent à la connaissance des différents usages et propriétés qui en dépendent, et nous instruisent de la nature de la chose.

66. Il est évident par là que ces mêmes choses qui, si nous les envisageons sous le point de vue de causes coopérant ou concourant à la production des effets, sont entièrement inexplicables et nous jettent en de grandes absurdités, peuvent, au contraire, si nous les prenons uniquement pour des marques ou signes destinés à nous fournir nos informations, s’expliquer très naturellement, et répondent à un usage propre qui leur est assigné, facile à découvrir. Étudier ce langage, si je peux l’appeler ainsi, de l’Auteur de la nature, chercher à s’en donner l’intelligence, tel doit être l’emploi du savant, dans la philosophie naturelle ; et non pas de prétendre expliquer les choses par des causes corporelles, suivant une doctrine qui semble avoir trop éloigné les esprits des hommes de ce principe actif, de ce suprême et sage Esprit « en qui nous vivons, nous nous mouvons et nous sommes ».

67. Onzièmement, on pourra objecter qu’encore bien qu’il soit clair, d’après ce qui a été dit, qu’il ne saurait exister telle chose qu’une Substance inerte, insensible, étendue, solide, figurée et mobile, donnée hors de l’esprit — en un