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les conduire, par la crainte et le respect, à la reconnaissance de l’Être divin. Mais elles doivent ne se produire que dans des cas rares, sans quoi il y aurait toutes raisons pour qu’elles manquassent leur effet. D’ailleurs, il semble que Dieu préfère porter dans notre raison la conviction de ses attributs par la vue des œuvres de la nature, qui nous découvrent tant d’art et d’harmonie, et révèlent si bien la sagesse et la bienfaisance de leur Auteur, plutôt que de nous surprendre et de nous conduire à la croyance de son Être par des événements extraordinaires et surprenants.

64. Pour rendre ce sujet encore plus clair, j’observerai que l’objection rapportée dans le § 60 se réduit en réalité à ceci : les idées ne sont pas produites n’importe comment, au hasard, mais il existe entre elles un certain ordre et une connexion semblable à celle de cause et d’effet. Elles se présentent aussi en différentes combinaisons où paraît beaucoup d’art et de régularité, et qui sont comme autant d’instruments dans la main de la nature. Celle-ci est pour ainsi dire cachée derrière la scène, et produit par une secrète opération ces apparences qu’on voit sur le théâtre du monde, mais que l’œil curieux du philosophe parvient seul à discerner en ce qu’elles sont. Mais puisque une idée ne peut être cause d’une autre idée, à quoi bon cette connexion ? Et puisque ces instruments qui sont de pures perceptions, sans action par elles-mêmes (inefficacious), dans l’esprit, ne servent pas à la production des effets naturels, on demande pourquoi ils ont été faits ? En d’autres termes, quelle raison peut-on assigner pour que Dieu nous fasse découvrir, quand nous examinons avec attention ses ouvrages, une si grande variété d’idées, combinées avec tant d’art et si exactement conformes à une règle ? Il n’est pas croyable[1], en effet, qu’il eût voulu se mettre en frais (si l’on peut ainsi parler) de tout cet art et de toute cette régularité sans nul dessein.

65. À tout ceci, ma réponse est : 1o  Que la connexion des idées n’implique pas la relation de cause à effet, mais seulement de marque ou de signe à chose signifiée. Le feu que je vois n’est point la cause de la douleur que j’éprouve en m’en approchant de trop près, mais bien la marque qui m’en

  1. « Imaginable », dans la 1re édition.