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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

toucher seront imprimées en nos esprits, à tels et tels intervalles de temps, et en conséquence de telles et telles actions. Il résulte de ce que nous avons dit ci-dessus, ainsi que dans les §§ 147 et autres de l’Essai sur la vision, que les idées visibles sont le langage dont se sert l’Esprit qui gouverne, et de qui nous dépendons, pour nous informer des idées tangibles qu’il est dans le cas d’imprimer en nous selon que nous exciterions dans nos corps un mouvement ou un autre. Mais pour plus ample information sur ce point, je m’en réfère à l’Essai.

45. Quatrièmement, on objectera qu’il s’ensuit des principes précédents que les choses sont annihilées à tout moment, et puis créées à nouveau. Les objets des sens n’existent qu’autant qu’ils sont perçus ; ainsi des arbres n’existeraient dans un jardin, des chaises dans un salon, que pendant qu’il y a quelqu’un pour les percevoir. Je n’ai qu’à fermer les yeux : aussitôt tout le mobilier de cette chambre est réduit à rien, et sitôt que je les ouvre ils sont créés tout de nouveau. En réponse à tout cela je prie le lecteur de revenir aux §§ 3, 4, etc., et de bien examiner s’il peut donner un sens quelconque à l’existence réelle d’une idée, distincte du fait qu’elle est perçue. Pour moi, après la plus exacte recherche qu’il me soit possible de faire, je me trouve incapable de découvrir ce que cela peut signifier, et je supplie encore une fois qu’on veuille bien sonder ses propres pensées et ne point se laisser imposer par des mots. Si quelqu’un parvient à concevoir la possibilité que ses idées ou que leurs archétypes existent sans être perçus, je veux bien me rendre ; mais, s’il ne peut y arriver, il avouera qu’il n’est pas raisonnable de sa part de se porter défenseur d’il ne sait quoi, et de m’accuser, moi, d’absurdité sur ce que je n’admets pas ces propositions qui n’ont au fond aucune signification.

46. Il ne sera pas mal d’observer à quel point les principes reçus en philosophie sont sujets à se voir imputer les mêmes absurdités prétendues. On regarde comme étrangement absurde que, de ce que je clos mes paupières, tous les objets autour de moi soient réduits à rien ; et pourtant n’est-ce pas là ce que les philosophes reconnaissent communément, quand, de tous côtés, ils accordent que la lumière et les couleurs, qui seules sont les propres et immédiats objets de la