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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

de l’esprit, à savoir induite de ce que nous percevons, quand les avocats de la Matière eux-mêmes ne prétendent pas qu’il y ait une connexion nécessaire entre ces corps et nos idées. Tout le monde avoue (et ce qu’on observe dans les songes, le délire, etc., met le fait hors de doute) que nous pouvons être affectés des mêmes idées que nous avons maintenant, et cela sans qu’il y ait au dehors des corps qui leur ressemblent. Il est évident par là que la supposition des corps externes n’est point nécessaire pour la production de nos idées, puisqu’on accorde qu’elles sont quelquefois produites, et pourraient peut-être l’être toujours, dans le même ordre où nous les voyons actuellement, sans le concours de ces corps.

19. Mais peut-être, quoiqu’il nous fût possible d’avoir toutes nos sensations sans eux, on regardera comme plus aisé de concevoir et d’expliquer la manière dont elles se produisent, en supposant des corps externes qui soient à leur ressemblance, qu’on ne le ferait autrement ; et, en ce cas, il serait au moins probable qu’il y a telles choses que des corps, qui excitent leurs idées en nos esprits. Mais cela non plus ne saurait se soutenir ; car si nous concédons aux matérialistes leurs corps extérieurs, de leur propre aveu ils n’en sont pas plus avancés pour savoir comment nos idées sont produites. Ils se reconnaissent eux-mêmes incapables de comprendre comment un corps peut agir sur un esprit (spirit) ou comment il est possible qu’il imprime une idée dans l’esprit (mind). Il est donc clair que la production des idées ou sensations dans nos esprits ne peut nous être une raison de supposer une Matière, ou des substances corporelles, puisque cette production, avec ou sans la supposition, demeure également inexplicable. Ainsi, fût-il possible que des corps existassent hors de l’esprit, tenir qu’il en existe en effet de tels, ce doit être nécessairement une opinion très précaire. C’est supposer, sans la moindre raison, que Dieu a créé des êtres innombrables qui sont entièrement inutiles et ne servent à aucune sorte de dessein.

20. En résumé, s’il y avait des corps externes, il est impossible qu’ils vinssent jamais à notre connaissance ; et, s’il n’y en avait pas, nous pourrions avoir exactement les mêmes raisons que nous avons maintenant de penser qu’il y en a. Supposez — ce dont personne ne contestera la possibilité —