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BERKELEY

telles idées comme des marques de notre imperfection ; ou du moins cela suffit pour faire voir que les idées les plus générales, les plus abstraites, ne sont pas celles que l’esprit reçoit les premières et avec le plus de facilité, ni celles sur qui roule sa première connaissance[1]. » Si quelqu’un a la faculté de former en son esprit une idée comme celle du triangle défini de la sorte, il serait vain de prétendre la lui enlever par la discussion, et je ne m’en chargerais pas. Tout ce que je veux, c’est que le lecteur s’assure pleinement du fait et sache s’il a une telle idée ou non. Ce n’est, ce me semble, une tâche bien pénible pour personne. Quoi de plus aisé que de regarder un peu dans ses propres pensées et de chercher si l’on a, si l’on peut parvenir à avoir, une idée qui corresponde à la définition que l’on vient de voir de l’idée générale d’un triangle, — qui n’est ni obliquangle, ni rectangle, ni équilatéral, ni isoscèle, ni scalène, mais à la fois tous ces triangles et nul de ces triangles ?

14. Cet auteur s’étend sur la difficulté qu’entraînent les idées abstraites, sur la peine qu’il faut prendre et l’adresse qu’il faut avoir pour les former ; et on s’accorde de tous côtés à reconnaître qu’il est besoin d’un grand travail d’esprit pour détacher ses pensées des objets particuliers et les élever aux sublimes spéculations qui ont trait aux idées abstraites. Il serait naturel d’en conclure, semble-t-il, qu’une chose aussi difficile que l’est la formation des idées abstraites n’est pas nécessaire pour communiquer, chose tellement simple et familière à toutes les sortes d’hommes. On nous dit que si ces idées paraissent à la portée des hommes faits, et aisées, c’est seulement qu’un usage constant et familier les leur a rendues telles ; mais je voudrais bien savoir en quel temps les hommes s’occupent de surmonter la difficulté en question, et de se mettre en possession de ces aides nécessaires du discours ? Ce ne peut être après qu’ils sont formés, puisqu’à ce moment ils ne s’aperçoivent pas qu’ils aient aucune peine de ce genre à prendre ; il reste donc que ce soit

  1. Livre IV, Chapitre vii, 9. — Nous nous servons, pour ce passage bien connu, de la traduction de Coste, en rétablissant seulement une phrase que ce traducteur a omise, celle dans laquelle Locke dit qu’une idée générale est une idée formée de parties contradictoires, quelque chose d’impossible. (Note de Renouvier.)