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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

d’un Esprit (Spirit) intimement présent à nos esprits (minds), qui produit en eux toute cette variété d’idées ou sensations dont nous sommes affectés continuellement, et dans la dépendance entière et absolue duquel nous sommes, et en qui enfin « nous vivons, nous nous mouvons et avons notre être ». Que la découverte de cette grande vérité, facilement accessible qu’elle est à l’esprit, ait cependant été atteinte par la raison d’un si petit nombre seulement, c’est un triste exemple de l’inattention et de la stupidité des hommes. Ils sont environnés de tant d’éclatantes manifestations de la divinité, et, en même temps si peu touchés, qu’on les dirait aveuglés par un excès de lumière.

150. Mais, direz-vous, la Nature n’a-t-elle point de part à la production des choses naturelles, et faut-il les attribuer toutes à l’unique et immédiate opération de Dieu ? Je réponds : si vous entendez par la Nature la série visible des effets, des sensations imprimées en nos esprits suivant des lois fixes et générales, assurément non, la Nature prise en ce sens-là ne saurait produire aucune chose. Et si ce mot Nature désigne un être distinct de Dieu, ainsi que des lois de la nature et des choses perçues par les sens, j’avoue qu’il n’est pour moi qu’un pur son dénué de toute signification intelligible. La Nature, en cette acception, est une vaine chimère, introduite par des païens dépourvus de toutes justes notions sur l’omniprésence et l’infinie perfection de Dieu. Mais il est plus inexplicable que des chrétiens la reçoivent, quand les Saintes Écritures, qu’ils professent de croire, rapportent constamment à la main de Dieu, à son action immédiate, ces mêmes effets que les philosophes païens ont coutume d’imputer à la Nature. « Le Seigneur élève les nuées ; Il fait les éclairs avec de la pluie ; Il tire les vents de ses trésors. » (Jérém., X, 13.) « De l’ombre de la mort il fait le matin, et du jour les ténèbres de la nuit. » (Amos, V, 8,) « Il visite la terre, Il la rend douce par les ondées ; Il bénit ses produits naissants et couronne l’année dans sa bonté ; en sorte que les pâturages sont vêtus de troupeaux et les vallées sont couvertes de moissons. » (Ps. LXV.) Mais encore que ce soit là le constant langage de l’Écriture, nous avons je ne sais quelle répugnance à croire que Dieu s’intéresse de si près à nos affaires. Nous le supposons volontiers à grande distance de nous, et nous mettons