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BERKELEY

148. Le prétexte ordinaire du troupeau qui ne pense pas, c’est, paraît-il, qu’on ne peut voir Dieu. Si nous pouvions Le voir, disent-ils, comme nous voyons un homme, nous croirions qu’Il est, et croyant en Lui nous suivrions Ses commandements. Mais hélas ! il suffit d’ouvrir les yeux, pour voir le Souverain Seigneur de toutes choses en une plus vive et pleine lumière qu’aucun de nos semblables. Non que j’imagine que nous voyons Dieu (comme certains le voudraient) par une vue directe et immédiate ; ou que nous voyons les choses corporelles non par elles, mais en voyant ce qui les représente dans l’essence de Dieu[1], doctrine incompréhensible pour moi, je dois l’avouer. Mais j’expliquerai comme je l’entends : — un esprit humain (human spirit), une personne, n’est pas perçu par les sens, car il n’est point une idée ; quand donc nous voyons la couleur, le volume, la figure et les mouvements d’un homme, nous ne faisons que percevoir certaines sensations ou idées excitées en nos esprits ; et ces idées qui nous sont offertes en divers assemblages distincts servent à marquer en nous, intérieurement, l’existence d’esprits finis et créés, tels que nous-mêmes. Il est clair, d’après cela, que nous ne voyons nullement un homme, si par homme on entend ce qui vit, se meut, perçoit et pense comme nous faisons ; mais que nous voyons un assemblage d’idées de telle nature qu’il nous porte à penser qu’il y a là un principe existant et distinct de pensée et de mouvement semblable à nous-mêmes, qui accompagne cet assemblage, et que cet assemblage représente. Et de la même manière nous voyons Dieu ; toute la différence consiste en ce qu’un esprit humain particulier est dénoté par un assemblage fini et très borné d’idées, au lieu que partout où notre vue se dirige, en tous temps, en tous lieux, nous percevons des signes et gages manifestés de la divinité. Et, en effet, tout ce que nous voyons, entendons et sentons, tout ce que nous percevons par nos sens est un signe ou un effet de la puissance de Dieu ; comme l’est aussi la perception des mouvements mêmes qui sont produits par les hommes.

149. Rien donc n’est plus clair et manifeste pour quiconque est capable de la moindre réflexion, que l’existence de Dieu,

  1. Doctrine de Malebranche. (Note de Renouvier.)