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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

de les produire, il n’en est pas moins évident pour tous que celles qui portent le nom d’œuvres de la nature, en d’autres termes, la plus grande partie des idées ou sensations que nous percevons ne sont pas produites par les volontés humaines et n’en dépendent point. C’est donc un autre Esprit qui les cause, puisqu’il est inadmissible qu’elles existent par elles-mêmes. (Voyez le § 29.) Mais si nous considérons attentivement la constante régularité, l’ordre et l’enchaînement des choses naturelles, la magnificence admirable, la beauté et la perfection des grandes parties de la création, la merveilleuse invention des moindres et l’harmonie, l’exacte correspondance établie dans l’ensemble ; par-dessus tout, ces lois, qu’on ne saurait assez admirer, de la peine et du plaisir, des instincts ou inclinations naturelles, des appétits et des passions des animaux ; si, dis-je, nous observons toutes ces choses et qu’en même temps nous pensions à la signification et à la valeur des attributs tels que Un, Éternel, Infiniment Sage, Bon et Parfait, nous verrons qu’ils appartiennent à cet Esprit « qui opère tout en tout » et « par qui tout subsiste ».

147. Il suit évidemment de là que Dieu est connu aussi certainement et immédiatement que tout autre esprit ou être spirituel distinct de nous. Nous pouvons même affirmer que l’existence de Dieu est perçue avec beaucoup plus d’évidence que celle des hommes, attendu que les effets de la Nature sont infiniment plus nombreux et plus considérables que ceux que nous rapportons aux agents humains. Il n’y a pas une marque à laquelle se reconnaisse un homme, un effet produit par un homme, et qui ne démontre encore plus fortement l’être de cet Esprit qui est l’Auteur de la nature. Car il est évident que la volonté d’un homme, quand elle affecte d’autres personnes, n’a pas d’autre objet immédiat que de mettre en mouvement ses organes corporels ; mais qu’un tel mouvement soit accompagné d’une idée, ou excite une idée dans l’esprit d’autrui, c’est ce qui dépend entièrement de la volonté du Créateur. C’est Lui seul qui, « soutenant toutes choses par la parole de Sa puissance », maintient cette correspondance entre les esprits, par laquelle ils sont aptes à percevoir l’existence les uns des autres. Et pourtant cette pure lumière qui éclaire tout homme est elle-même invisible [à la plus grande partie des hommes].