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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

(et c’est cela même que nous entendons par le cours de la nature), ne peuvent, rien n’est plus clair, affecter une substance active, simple, étrangère à toute composition. Un tel être n’est donc pas dissoluble par la force de la nature, et, en d’autres termes, l’âme de l’homme est naturellement immortelle.

142. D’après cela, il est, je crois, évident que nos âmes ne sauraient être connues de la manière que le sont les objets privés de sens et d’activité, c’est-à-dire par le moyen d’une idée. Les esprits et les idées sont choses si entièrement différentes que, quand nous disons : « ils existent », « ils sont connus », etc., ces mots ne doivent rien impliquer qui fasse penser à une communauté de nature entre les uns et les autres. Entre eux, rien n’est semblable, rien n’est commun. S’attendre à ce que nos facultés, si multipliées ou agrandies qu’elles fussent, nous missent en état de connaître un esprit comme nous connaissons un triangle, cela ne paraît pas moins absurde que si l’on espérait parvenir à voir un son. Si j’insiste sur ce point, c’est que j’y vois de l’importance pour éclaircir différentes questions d’un grand intérêt, et prévenir de très dangereuses erreurs concernant la nature de l’âme[1].

143. Il n’est pas hors de propos d’ajouter que la doctrine des idées abstraites a notablement contribué à rendre ces sciences plus compliquées et plus obscures qui portent spécialement sur les choses spirituelles. Les hommes se sont imaginé qu’ils pouvaient se former des notions abstraites

  1. Ici se trouve inséré dans la 2e édition un passage important sur cette distinction de la notion et de l’idée, qui a déjà motivé ci-dessus quelques modifications dans le texte primitif de Berkeley :

    « On ne peut pas dire, je pense, à parler strictement, que nous avons une idée d’un être actif, ou d’une action, quoiqu’on puisse dire que nous en avons une notion. J’ai une certaine connaissance ou notion de mon esprit et de ses actes au sujet des idées, en tant que je connais ou comprends ce que ces mots signifient. Ce que je connais, c’est ce dont j’ai quelque notion. Je ne dirai pas que les mots idée et notion ne puissent être employés l’un pour l’autre, si le monde le veut ainsi. Mais il convient, pour la clarté et la propriété des termes, de donner à des choses très différentes des noms différents pour les distinguer. Il est encore bon de remarquer que, toutes les relations renfermant un acte de l’esprit, on ne s’exprime pas si proprement en disant que nous avons une idée qu’en disant que nous avons une notion des relations et manières d’être des choses entre elles. Mais si, pourtant, l’usage actuel est d’étendre le mot idée aux esprits, aux relations et aux actes, alors ce n’est après tout qu’une affaire de mots. » (Note de Renouvier.)