Page:Berkeley - Les Principes de la connaissance humaine, trad. Renouvier.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
BERKELEY

nous ne possédons point l’idée de cette nature. Mais assurément, on ne doit pas voir un défaut de l’entendement humain dans ce fait qu’il ne perçoit pas l’idée de l’esprit (does not perceive the idea of Spirit), s’il est manifestement impossible qu’une telle idée existe ; et, j’ai, si je ne me trompe, établi cette impossibilité ci-dessus (§ 27). J’ajouterai ici qu’il a été montré qu’un esprit est la seule substance, ou support, dans lequel peuvent exister les êtres non pensants, ou idées ; or, que cette substance qui soutient ou perçoit les idées soit elle-même une idée ou semblable à une idée, c’est ce qui est évidemment absurde.

136. On dira peut-être que nous manquons d’un sens (comme quelques-uns l’ont imaginé) pour connaître aussi les substances, sans quoi nous pourrions connaître notre âme comme nous faisons un triangle. Je réponds à cela que dans le cas où un sens de plus nous serait accordé, nous ne pourrions par ce moyen que recevoir de nouvelles sensations, ou idées sensibles. Mais personne ne voudrait sans doute soutenir que ce que nous entendons par les termes d’âme et de substance ne soit rien qu’une espèce particulière d’idée ou de sensation. Nous pouvons conclure de là que, tout bien considéré, il n’est pas plus raisonnable de penser que nos facultés sont en défaut, en cela qu’elles ne nous fournissent point une idée de l’esprit, ou substance active pensante, qu’il le serait de les accuser de n’être pas aptes à comprendre un carré rond.

137. De cette opinion que la connaissance des esprits doit être du genre de nos idées ou sensations, sont sorties de nombreuses doctrines absurdes et hétérodoxes et beaucoup de scepticisme touchant la nature de l’âme. Il est même probable que certains ont conçu de là un doute sur l’existence en eux d’une âme quelconque distincte de leur corps, puisque ils cherchaient en vain et ne pouvaient trouver qu’ils en eussent une idée. Pour réfuter la manière de voir d’après laquelle une idée, qui est chose inactive, et dont l’existence consiste à être perçue, serait l’image ou ressemblance d’un agent subsistant par lui-même, il ne faut que faire attention au sens des mots. Mais on dira peut-être qu’encore bien qu’une idée ne puisse ressembler à un esprit, quant au penser et à l’agir de ce dernier, et à sa subsistance par soi, elle le peut