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BERKELEY

premier coup d’œil ; et il est impossible qu’une créature raisonnable y donne son assentiment, à moins d’y être conduite par degrés, à tout petits pas : comme un Gentil converti peut l’être à la croyance de la transsubstantiation. Des préjugés anciens et enracinés se changent souvent en principes, et ces propositions qui ont une fois acquis la force et le crédit d’un principe passent pour être dispensées d’examen par privilège, elles d’abord, et puis aussi tout ce qu’on en peut déduire. Il n’y a pas d’absurdité si grossière que, par ce moyen, l’esprit de l’homme ne puisse être disposé à avaler.

125. Celui dont l’entendement est prévenu en faveur de la doctrine des idées abstraites peut [aisément] se persuader que (quoi que l’on pense d’ailleurs des idées des sens) l’étendue, en abstrait, est infiniment divisible. Et quiconque pense que les objets des sens existent hors de l’esprit pourra être amené par là à admettre qu’une ligne qui n’a qu’un pouce de long peut contenir des parties innombrables, réellement existantes, quoique trop petites pour être discernées. Ces erreurs sont ancrées dans les intelligences des géomètres, aussi bien que dans celles des autres hommes, et influencent pareillement leurs raisonnements ; et il ne serait pas difficile de montrer que les arguments géométriques dont on fait usage pour soutenir l’infinie divisibilité de l’étendue ont là leur fondement. [Nous trouverons plus tard, si c’est nécessaire, un lieu convenable pour traiter cette question en détail.] À présent, nous remarquerons seulement d’une manière générale la raison qui rend tous les mathématiciens si obstinément attachés à cette doctrine.

126. On a observé ailleurs (Introduction, § 15) que les théorèmes et démonstrations de la géométrie ont trait à des idées universelles, et l’on a expliqué en quel sens cela doit être compris : savoir que les lignes et figures contenues dans le diagramme, sont censées là pour d’autres innombrables de différentes dimensions. En d’autres termes, le géomètre les considère abstraction faite de leur grandeur ; ce qui n’implique point qu’il se forme une idée abstraite, mais seulement qu’il ne s’occupe pas de telle ou telle grandeur particulière ; qu’il regarde ce point comme chose indifférente pour la démonstration. Il suit de là qu’une ligne sur le plan, pas plus longue qu’un pouce, peut être traitée