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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

ou comme un théorème, dans les éléments de cette science, s’y trouve cependant partout supposée ; et on la regarde comme ayant une connexion si essentielle avec les principes et les démonstrations, comme en étant tellement inséparable, que les mathématiciens n’élèvent jamais un doute à son sujet et ne la mettent pas en question. Cette notion est la source de tous ces ridicules paradoxes géométriques qui répugnent si directement au simple sens commun et ne pénètrent qu’avec tant de peine dans un esprit que l’érudition n’a point encore gâté ; et c’est aussi la principale cause de toutes ces finesses, de cette extrême subtilité qui rend l’étude des mathématiques si difficile et si ennuyeuse. D’après cela, si nous pouvons montrer qu’une étendue finie ne contient pas des parties innombrables, n’est pas infiniment divisible, nous débarrasserons la géométrie d’un grand nombre de difficultés et de contradictions qu’on a toujours regardées comme un sujet de reproche pour la raison humaine ; et en même temps nous rendrons l’étude de cette science beaucoup plus courte et moins pénible qu’elle ne l’a été jusqu’ici.

124. Toute étendue particulière finie qui peut être l’objet de notre pensée est une idée qui n’existe que dans l’esprit et dont, par conséquent, chaque partie doit être perçue. Si donc je ne puis percevoir des parties innombrables dans une étendue finie, que je considère, il est certain qu’elles n’y sont pas contenues ; or il est évident que je ne puis distinguer des parties innombrables dans une ligne ou surface, ou dans un solide que je perçois par les sens, ou que je me figure en mon esprit ; je conclus donc qu’elles n’y sont pas contenues. Rien n’est plus clair pour moi que ceci : que les étendues que j’envisage ne sont autre chose que mes propres idées ; et il n’est pas moins clair que je ne puis résoudre une de mes idées en un nombre infini d’autres idées ; en d’autres termes, que mes idées ne sont pas infiniment divisibles. Si l’on entend par étendue finie quelque chose de distinct d’une idée finie, je déclare que je ne sais ce que c’est ; je ne pourrais en ce cas en affirmer ou nier quoi que ce soit. Mais si les mots étendue, parties, etc., sont pris en un sens concevable, à savoir pour des idées, dire qu’une étendue finie, une quantité finie est composée de parties infinies en nombre, c’est une contradiction si visible, si éclatante, que chacun la reconnaît au