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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

l’idées des nombres en abstrait, désignés par les noms numéraux et les chiffres. Si donc, en arithmétique, les théories sont abstraites des noms et des chiffres, comme aussi de toute application ou emploi, et des choses nombrées particulières, il est permis de supposer qu’elles sont absolument sans objet. On voit par là combien la science des nombres est subordonnée à la pratique et à quel point elle devient futile et vide quand on en fait matière de pure spéculation.

121. Cependant, comme il y a des personnes qui se laissent tromper par la spécieuse illusion de découvrir des vérités abstraites, et qui perdent leur temps à des théorèmes ou problèmes arithmétiques de nul usage, il ne sera pas mal que nous mettions plus pleinement en évidence la vanité de cette prétention. Elle ressortira pour nous d’un examen de l’arithmétique, considérée dans son enfance. Demandons-nous quel motif a porté primitivement les hommes à une telle étude, et quel objet ils se sont proposé. Il est naturel de penser que tout d’abord, afin de venir en aide à leur mémoire, et de faciliter le calcul, ils se sont servis de jetons, ou qu’ils ont tracé de simples traits, marqué des points, ou tout autre signe analogue, chacun desquels était pris pour signifier une unité, à savoir une chose unique de l’espèce dont ils se trouvaient avoir à faire le compte. Ensuite ils imaginèrent des moyens abrégés de faire qu’un seul caractère tînt lieu de plusieurs traits ou points. Finalement la notation des Arabes, ou des Indiens, vint en usage et permit d’exprimer dans la perfection tous les nombres par la répétition d’un petit nombre de caractères ou chiffres, dont la signification varie selon la place qu’on leur donne. Cette invention semble avoir été faite en imitation du langage, tant l’analogie est exacte entre les deux notations, l’une par noms, l’autre par chiffres, les neuf chiffres simples correspondant aux neuf premiers noms numéraux, et les places données aux chiffres, d’un côté, correspondant aux dénominations, de l’autre. En se conformant à ces conditions établies touchant les valeurs simples et les valeurs de position des chiffres, on a trouvé des méthodes pour déterminer, d’après les chiffres ou marques désignant les parties, les chiffres et positions de chiffres voulus pour représenter le tout de ces parties — ou vice versa. Dès que les chiffres cherchés sont obtenus grâce à la constante observation de la