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BERKELEY

communiquent l’erreur à toutes, sans excepter les mathématiques. Que les principes posés par les mathématiciens soient vrais, et que la méthode de déduction dont ils se servent soit claire et incontestable, je ne le nie point. Mais je tiens qu’il peut y avoir certaines maximes fausses dont la portée dépasse l’objet des mathématiques, et qui, pour cette raison, ne sont point mentionnées expressément, mais bien tacitement supposées, dans tout le cours de cette science. Or les mauvais effets de ces erreurs secrètes qu’on n’examine pas se font sentir dans toutes ses branches. À parler franchement, je soupçonne que les mathématiciens ne sont pas moins profondément intéressés que les autres hommes dans les erreurs nées de la doctrine des idées abstraites et de l’existence des objets hors de l’esprit.

119. On a regardé l’arithmétique comme ayant pour objet les idées abstraites de nombre ; et la connaissance des propriétés et rapports mutuels des nombres passe pour une partie d’importance non médiocre de la connaissance spéculative. L’opinion qu’on a eue de la pure et intellectuelle nature des nombres, dans l’abstrait, les a mis en estime auprès de ces philosophes qui ont affecté une élévation et un raffinement extraordinaires de la pensée. C’est ce qui a donné du prix aux plus frivoles spéculations numériques, de nul usage dans la pratique et bonnes seulement pour amuser ; et certains esprits ont été atteints de cette manie au point de rêver de profonds mystères enveloppés dans les nombres, et de vouloir les employer à l’explication des choses naturelles. Mais si nous examinons bien nos propres pensées, en réfléchissant à ce qui a été dit ci-dessus, nous prendrons peut-être une pauvre idée de ces abstractions de haute volée, et nous regarderons les recherches qui portent exclusivement sur les nombres comme autant de difficiles nugæ, en ce qu’elles ont d’inutile dans la pratique ou pour ajouter aux avantages de la vie humaine.

120. Nous avons déjà parlé de l’unité dans l’abstrait (§ 13). Il résulte de ce que nous avons dit là, et dans l’introduction du présent ouvrage, qu’il n’existe point une telle idée. Et, comme le nombre est défini « une collection d’unités », on peut en conclure que, s’il n’existe pas telle chose que l’unité, ou l’un en abstrait, il n’existe pas non plus