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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

à toutes les difficultés et disputes élevées parmi les savants, concernant la nature de l’espace pur. Mais le principal avantage qui nous en revient est d’être délivrés du dangereux dilemme auquel se jugent réduits plusieurs de ceux qui ont appliqué leurs pensées à ce sujet : ou de croire que l’Espace réel est Dieu, ou d’admettre qu’il y a quelque autre chose que Dieu d’éternel, incréé, infini, indivisible, immuable. Ces deux manières de voir peuvent être à bon droit regardées comme également pernicieuses et absurdes. Il est certain qu’ils ne sont pas peu nombreux, les théologiens aussi bien que les philosophes de grande notoriété, qui ont été conduits par la difficulté qu’ils ont trouvée, soit à concevoir l’espace limité, soit à le concevoir annihilé, à conclure qu’il doit être divin. Et quelques-uns, dans ces derniers temps, se sont appliqués particulièrement à montrer que les attributs incommunicables de Dieu lui conviennent[1]. Quelque indigne qu’une telle doctrine puisse paraître de la Nature divine, j’avoue que je ne vois point comment nous pouvons y échapper tant que nous demeurons attachés aux doctrines reçues.

118. Après nous être occupés de la philosophie naturelle, arrivons à quelques questions concernant l’autre grande branche de la connaissance spéculative : les mathématiques. Quelque vantées que ces sciences puissent être, pour cette clarté et cette certitude dans la démonstration, qu’il est partout ailleurs difficile de rencontrer, on ne saurait néanmoins les supposer entièrement exemptes d’erreurs, s’il se trouve qu’elles recèlent en leurs principes quelque fausse notion que les hommes qui les professent ont en commun avec le reste de l’humanité. Les mathématiciens déduisent leurs théorèmes avec un haut degré d’évidence, mais leurs premiers principes ne laissent pas de se trouver limités à la considération de la quantité. Ils ne s’élèvent pas à des recherches concernant les maximes transcendantales qui influent sur toutes les sciences particulières, et qui, si elles sont erronées, leur

  1. Ce passage fait allusion au Traité de Clarke sur l’existence et les attributs de Dieu. Leibnitz, au début de sa célèbre polémique avec Clarke, fait entendre une plainte analogue au sujet des philosophes anglais qui font « Dieu corporel », et relève l’opinion de Newton sur l’espace conçu comme organe de Dieu. (Note de Renouvier.)