Page:Berkeley - Les Principes de la connaissance humaine, trad. Renouvier.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

115. En effet, pour qu’on dise qu’un corps est mû, il faut : 1o  que sa distance ou sa situation par rapporta quelque autre corps éprouve un changement ; 2o  que la force qui cause ce changement lui soit appliquée. Si l’une de ces conditions manque, je ne pense pas que le sentiment des hommes ni la propriété du langage permettent de dire un corps en mouvement. J’accorde, sans doute, qu’il nous est possible de penser qu’un corps est mû quand nous voyons sa distance à quelque autre changer, quoique aucune force ne lui soit appliquée (c’est en ce sens qu’il peut y avoir des mouvements apparents) ; mais c’est alors parce que nous imaginons que la force qui cause le changement de distance est appliquée ou imprimée à ce corps que nous pensons se mouvoir. Et cela montre en vérité que nous sommes capables de nous tromper et de regarder comme en mouvement une chose qui n’est pas en mouvement ; et c’est tout[1].


    ments de corps sur lesquels sont exercées des forces connues, des forces qu’on peut regarder, en vertu des lois générales du mouvement, comme les causes même de tout ou partie de leurs vitesses, cette circonstance ne rend pas leurs mouvements plus vrais, mais seulement les explique. Ces mouvements ne cessent pas d’être relatifs, mais il y a dans ce cas quelque chose de propre aux corps mus, et d’individuel, dont on tient compte pour choisir, parmi les repères auxquels peut se rapporter leur déplacement, ceux qui conviennent le mieux pour la représentation des phénomènes en tant qu’effets et causes.

    Berkeley, en refusant le nom de mouvement à tout déplacement relatif qu’on ne peut attribuer à une action sensible et assignable, est plus préoccupé de sa doctrine des sensations que de l’intérêt des sciences. Évidemment, l’étude des phénomènes naturels exige que les mouvements soient définis par des déplacements, sans aucune autre condition ; car s’il fallait attendre d’apercevoir les agents réels des changements de distribution des parties de la matière, depuis les phénomènes astronomiques jusqu’aux vibrations moléculaires, pour donner le nom de mouvements aux déplacements apparents, toutes nos connaissances seraient arrêtées dès le début ; ou bien il faudrait se dire que les mouvements dont on cherche les lois ne sont pas, qu’on sache, des mouvements. (Note de Renouvier.)

  1. Dans la deuxième édition, le § 115 contient quelques phrases de plus : « Et c’est tout : il n’en résulte point que, suivant la commune acception du mouvement, un corps soit mu uniquement pour la raison que sa distance à un autre corps est changée. Sitôt que nous sommes détrompés, en effet, et que nous nous apercevons que la force mouvante n’est pas appliquée à ce premier corps, nous cessons de le croire mû. D’autre part, il y a aussi des personnes qui pensent que si on imagine l’existence d’un seul et unique corps (dont les parties conservent entre elles une position donnée invariable), ce corps peut être mû en toutes sortes de manières, quoique en ce cas sa distance et sa situation ne puissent changer par rapport à rien. Nous ne contesterions pas cela, si l’on voulait dire que ce corps pourrait avoir une