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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

le mouvement qui y est relatif varie. Un homme dans un vaisseau peut se dire en repos par rapport aux côtés du bâtiment, et en mouvement par rapport au rivage. Il peut se mouvoir vers l’est, au regard de l’un, et vers l’ouest au regard de l’autre. Dans les choses de la vie, les hommes ne vont jamais plus loin que la Terre pour définir le lieu d’un corps ; et ce qui est en repos relativement à elle passe pour l’être absolument. Mais les philosophes, qui étendent plus loin leurs pensées, et possèdent des notions plus justes sur le système du Monde, ont découvert que la Terre elle-même se meut. Ils semblent donc, afin de fixer leurs idées, concevoir le monde corporel comme fini, et prendre ses parois les plus immobiles, sa coque, pour le lieu qui peut servir à juger des vrais mouvements[1]. Si nous sondons nos propres conceptions, nous reconnaîtrons, je crois, que tout mouvement absolu dont nous pouvons nous former une idée n’est autre au fond que le mouvement relatif ainsi défini. Car, ainsi qu’on l’a déjà observé, le mouvement absolu, à l’exclusion de toute relation externe, est incompréhensible ; et, à cette espèce de mouvement relatif, toutes les propriétés, causes et effets, mentionnées ci-dessus et assignées au mouvement absolu, se trouveront, si je ne me trompe, applicables. Quant à ce qu’on a dit de la force centrifuge, qu’elle n’appartient nullement au mouvement circulaire relatif, je ne vois point comment on peut déduire cela de l’expérience qu’on allègue à l’appui (Voyez Newton, Philosophiae naturalis principia mathema-

  1. Ils semblent donc… Est-ce une interprétation de la pensée de Newton ? On ne peut guère le croire, car Newton admettait l’infinité de l’espace constitué par Dieu, et, dans l’espace absolu, autant de parties, ou lieux absolus, qu’on en peut définir comme quantités mathématiques, immobiles aussi bien que l’espace absolu tout entier. (Voyez le scholie cité par Berkeley, et le fameux scholie général, à la fin de ce même livre des Principes.) Il rapportait le mouvement absolu à ces lieux absolus, insensibles, indéterminables et purement mathématiques qu’il supposait partout séants, et ne croyait donc pas sans doute avoir besoin de chercher d’autres lieux de comparaison invariables aux limites du monde. Mais peut-être Berkeley veut-il dire que, comme ces lieux de Newton ne peuvent après tout se définir que par relation à des lieux différents et variables, ils sont des lieux relatifs, et non pas absolus, ce qui forcerait l’imagination à se porter à l’extrémité de l’univers en y feignant des murailles immobiles, comme des plans coordonnés auxquels tout se rapporterait, et il conclut de là que, de quelque manière qu’on s’y prenne, on n’a jamais d’autre idée d’un mouvement que celle d’un mouvement relatif. Nous partageons cette opinion. (Note de Renouvier.)