Page:Bergson - Matière et mémoire.djvu/67

Cette page n’a pas encore été corrigée

elle propre, qui doit être de même genre que son action virtuelle, sur les objets extérieurs qu’il perçoit ordinairement, de sorte qu’on comprendrait ainsi pourquoi chacun des nerfs sensitifs paraît vibrer selon un mode déterminé de sensation. Mais, pour élucider ce point, il convient d’approfondir la nature de l’affection. Nous sommes conduits, par là même, au troisième et dernier argument que nous voulions examiner.

Ce troisième argument se tire de ce qu’on passe, par degrés insensibles, de l’état représentatif, qui occupe de l’espace à l’état affectif qui paraît inétendu. De là on conclut à l’inextension naturelle et nécessaire de toute sensation, l’étendue s’ajoutant à la sensation, et le processus de la perception consistant dans une extériorisation d’états internes. Le psychologue part en effet de son corps, et comme les impressions reçues à la périphérie de ce corps lui sem­blent suffire à la reconstitution de l’univers matériel tout entier, c’est à son corps qu’il réduit d’abord l’univers. Mais cette première position n’est pas tenable ; son corps n’a et ne peut avoir ni plus ni moins de réalité que tous les autres corps. Il faut donc aller plus loin, suivre jusqu’au bout l’application du principe, et après avoir rétréci l’univers à la surface du corps vivant, contracter ce corps lui-même en un centre qu’on finira par supposer inétendu. Alors, de ce centre on fera partir des sensations inextensives qui s’enfleront, pour ainsi dire, se grossiront en extension, et finiront par donner notre corps étendu d’abord, puis tous les autres objets matériels. Mais cette étrange supposition serait impossible, s’il n’y avait précisément entre les images et les idées, celles-ci inétendues et celles-là étendues, une série d’états intermédiaires, plus ou