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nous serions fort en peine d’y répondre si nous n’avions relevé çà et là, dans leurs descriptions, certains faits qui nous parais­sent significatifs.

Le premier de ces faits est la perte du sens de l’orientation. Tous les auteurs qui ont traité de la cécité psychique ont été frappés de cette parti­cularité. Le malade de Lissauer avait complètement perdu la faculté de se diriger dans sa maison[1]. Fr. Müller insiste sur ce fait que, tandis que des aveugles apprennent très vite à retrouver leur chemin, un sujet atteint de cécité psychique ne peut, même après des mois d’exercice, s’orienter dans sa propre chambre[2]. Mais la faculté de s’orienter est-elle autre chose que la faculté de coordonner les mouvements du corps aux impressions visuelles, et de pro­longer machinalement les perceptions en réactions utiles ?

Il y a un second fait, plus caractéristique encore. Nous voulons parler de la manière dont ces malades dessinent. On peut concevoir deux manières de dessiner. La première consisterait à fixer sur le papier un certain nombre de points, par tâtonnement, et à les relier entre eux en vérifiant à tout moment si l’image ressemble à l’objet. C’est ce qui s’appellerait dessiner « par points » . Mais le moyen dont nous usons habituellement est tout autre. Nous dessinons « d’un trait continu », après avoir regardé le modèle ou y avoir pensé. Comment expliquer une pareille faculté, sinon par l’habitude de démêler tout de suite l’organisation des contours les plus usuels, c’est-à-dire par une ten­dance motrice à en figurer tout

  1. Article cité, Arch. f. Psychiatrie, 1889-90, p. 224. Cf. WILBRAND, op. cit., p. 140, et BERNHARDT, Eigenthumlicher Fall von Hirnerkrankung (Berliner klinische Wochenschrift, 1877, p. 581).
  2. Article cité, Arch. f. Psychiatrie, t. XXIV, p. 898.