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proprement impératif dans l’obligation, et lors même que nous trouverions en elle tout ce que l’intelligence y a inséré pour l’enrichir, tout ce que la raison a mis autour d’elle pour la justifier, c’est dans cette structure fondamentale que nous nous replaçons. Voilà pour l’obligation pure.

Maintenant, une société mystique, qui engloberait l’humanité entière et qui marcherait, animée d’une volonté commune, à la création sans cesse renouvelée d’une humanité plus complète, ne se réalisera évidemment pas plus dans l’avenir que n’ont existé, dans le passé, des sociétés humaines à fonctionnement organique, comparables à des sociétés animales. L’aspiration pure est une limite idéale, comme l’obligation nue. Il n’en est pas moins vrai que ce sont les âmes mystiques qui ont entraîné et qui entraînent encore dans leur mouvement les sociétés civilisées. Le souvenir de ce qu’elles ont été, de ce qu’elles ont fait, s’est déposé dans la mémoire de l’humanité. Chacun de nous peut le revivifier, surtout s’il le rapproche de l’image, restée vivante en lui, d’une personne qui participait de cette mysticité et la faisait rayonner autour d’elle. Même si nous n’évoquons pas telle ou telle grande figure, nous savons qu’il nous serait possible de l’évoquer ; elle exerce ainsi sur nous une attraction virtuelle. Même si nous nous désintéressons des personnes, il reste la formule générale de la moralité qu’accepte aujourd’hui l’humanité civilisée : cette formule englobe deux choses, un système d’ordres dictés par des exigences sociales impersonnelles, et un ensemble d’appels lancés à la conscience de chacun de nous par des personnes qui représentent ce qu’il y eut de meilleur dans l’humanité. L’obligation qui s’attache à l’ordre est, dans ce qu’elle a d’original et de fondamental, infra-intellectuelle. L’efficacité de l’appel