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sociétés qui se constituent au sein de la grande, quand des hommes se trouvent rapprochés les uns des autres par quelque marque distinctive qui souligne une supériorité réelle ou apparente, et qui les met à part. Au respect de soi que professe tout homme en tant qu’homme se joint alors un respect additionnel, celui du moi qui est simplement homme pour un moi éminent entre les hommes ; tous les membres du groupe « se tiennent » et s’imposent ainsi une « tenue » ; on voit naître un « sentiment de l’honneur » qui ne fait qu’un avec l’esprit de corps. Telles sont les premières composantes du respect de soi. Envisagé de ce côté, que nous ne pouvons isoler aujourd’hui que par un effort d’abstraction, il oblige par tout ce qu’il apporte avec lui de pression sociale. Maintenant, l’impulsion deviendrait manifestement attraction si le respect « de soi » était celui d’une personnalité admirée et vénérée dont on porterait en soi l’image et avec laquelle on aspirerait à se confondre, comme la copie avec le modèle. Il n’en est pas ainsi en fait, car l’expression a beau n’évoquer que des idées de repliement sur soi-même, le respect de soi n’en reste pas moins, au terme de son évolution comme à l’origine, un sentiment social. Mais les grandes figures morales qui ont marqué dans l’histoire se donnent la main par-dessus les siècles, par-dessus nos cités humaines : ensemble elles composent une cité divine où elles nous invitent à entrer. Nous pouvons ne pas entendre distinctement leur voix ; l’appel n’en est pas moins lancé ; quelque chose y répond au fond de notre âme ; de la société réelle dont nous sommes nous nous transportons par la pensée à la société idéale ; vers elle monte notre hommage quand nous nous inclinons devant la dignité humaine en nous, quand nous déclarons agir par respect de nous-mêmes. Il est vrai que l’action