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ment celle de l’âme ouverte : n’a-t-on pas eu raison de faire remarquer qu’elle frise le paradoxe, et même la contradiction, dans les plus précises de ses recommandations ? Si la richesse est un mal, ne nuirons-nous pas aux pauvres en leur abandonnant ce que nous possédons ? Si celui qui a reçu un soufflet tend l’autre joue, que devient la justice, sans laquelle il n’y a pourtant pas de charité ? Mais le paradoxe tombe, la contradiction s’évanouit, si l’on considère l’intention de ces maximes, qui est d’induire un état d’âme. Ce n’est pas pour les pauvres, c’est pour lui que le riche doit faire abandon de sa richesse : heureux le pauvre « en esprit » ! Ce qui est beau, ce n’est pas d’être privé, ni même de se priver, c’est de ne pas sentir la privation. L’acte par lequel l’âme s’ouvre a pour effet d’élargir et d’élever à la pure spiritualité une morale emprisonnée et matérialisée dans des formules : celle-ci devient alors, par rapport à l’autre, quelque chose comme un instantané pris sur un mouvement. Tel est le sens profond des oppositions qui se succèdent dans le Sermon sur la montagne : « On vous a dit que… Et moi je vous dis que… » D’un côté le clos, de l’autre l’ouvert. La morale courante n’est pas abolie ; mais elle se présente comme un moment le long d’un progrès. On ne renonce pas à l’ancienne méthode ; mais on l’intègre dans une méthode plus générale, comme il arrive quand le dynamique résorbe en lui le statique, devenu un cas particulier. Il faudrait alors, en toute rigueur, une expression directe du mouvement et de la tendance ; mais si l’on veut encore — et il le faut bien — les traduire dans la langue du statique et de l’immobile, on aura des formules qui frôleront la contradiction. Aussi comparerions-nous ce qu’il y a d’impraticable dans certains préceptes évangéliques à ce que présentèrent d’illo-